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être temps de conclure. Ils sont peut-être bien pressés au gré de beaucoup de gens, qui ne manqueraient pas de raisons pour justifier leur réserve. La meilleure de toutes, c’est que la critique est encore loin d’avoir achevé son œuvre ; mais l’achèvera-t-elle jamais ? Parmi les résultats que l’on peut désormais considérer comme avérés, n’en est-il pas qui intéressent trop directement la foi des uns et l’incrédulité des autres pour qu’on se borne à les énoncer historiquement ? La philosophie des religions n’est-elle pas en droit dès maintenant de s’emparer de ces résultats pour en faire les bases d’une appréciation positive ? La critique elle-même aurait tort de se plaindre de ce que l’on pose ainsi des questions destinées à la faire sortir de son indifférence prolongée. Elle a contribué pour sa large part à les faire naître en simplifiant sans cesse, à mesure qu’elle se développait, les termes du problème fondamental. D’abord elle réunit toutes les religions, y compris le christianisme, dans une seule et même grande division des faits de l’esprit humain ; puis elle démontre de la manière la plus irréfutable que le sentiment religieux a ses racines dans l’âme elle-même, et que les sacerdoces, les rituels, les dogmes, les intérêts qui s’y rattachent, les législations qui en découlent, les abus qui en proviennent, les égoïsmes qui en profitent, sont l’effet, non la cause, de ce sentiment naturel entre tous. Elle reconnaît sans effort, elle met en pleine lumière la supériorité religieuse du christianisme ; mais elle ne peut plus le considérer comme une espèce d’aérolith tombé brusquement du ciel sur la terre. Qu’il soit le plus bel arbre de la forêt, d’accord ; mais enfin c’est un arbre. Le surnaturel, c’est-à-dire le miracle, la négation des lois de la nature et de l’esprit, s’enfuient devant elle sur ce domaine particulier, comme ils ont devant les sciences physiques disparu de l’immense région désormais ouverte à leurs investigations. En toute chose, la critique va jusqu’au fond, jusqu’au principe, jusqu’au sentiment primitif, jusqu’à la cellule embryonnaire, et par conséquent elle rend inutiles les discussions de détail en forçant les controverses à se concentrer sur l’élément originel qui supporte tout le reste. C’est ainsi, pour citer quelques exemples, qu’elle nous montre le fait premier qui préside à la lente formation du dogme de la divinité de Jésus-Christ. Elle indique les deux tendances qui, dès les premiers jours du christianisme, créent un catholicisme et un protestantisme en état d’opposition permanente. Surtout elle simplifie la question religieuse au point que, pour l’homme travaillé par le désir de savoir à quoi s’en tenir sur la vérité religieuse, tout le problème pourrait se résumer ainsi : le sentiment religieux inhérent à l’âme humaine a-t-il un objet réel qui fasse de lui autre chose qu’un soupir dans