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EXPLORATION
DU MÉKONG

II.
LES FORETS D'ATTOPEE, LES SAUVAGES ET LES ELEPHANS.


I

Il en est de la civilisation comme de la santé, il faut être privé de ses bienfaits pour en apprécier tout le prix. Dormir dans un lit et manger du pain, ce sont là des jouissances très vulgaires, et qui, grâce à Dieu, manquent assez rarement en Europe aux classes même le moins favorisées par la fortune. Aussi ne se rend-on pas compte de la place qu’elles occupent dans le bien-être de la vie. Cependant, après quelques semaines d’étonnement, presque de trouble, on sent le corps se plier peu à peu à des habitudes nouvelles ; mais il est des privations d’un autre genre que chaque jour rendait pour, nous plus douloureuses dans notre triste campement de Bassac[1]. Sans livres et sans journaux, à ce moment fatal où derrière les illusions qui s’envolent, à la place du rêve qui s’évanouit, on n’aperçoit plus que les formes austères d’un devoir pénible, nous vivions repliés sur nous-mêmes, attendant la fin de la saison des pluies. Les premiers beaux jours allaient nous permettre en effet de chercher au dehors des alimens à cette curiosité d’esprit qui est la seule passion capable de soutenir le voyageur. Ils arrivèrent enfin,

  1. Voyez la Revue du 1er mars.