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pareil terrain, M. Vacherot pense donc que la religion et les religions appartiennent à l’enfance et à la jeunesse de l’humanité, à son âge d’imagination. Dût leur prestige durer longtemps encore sur la majorité du genre humain, elles n’en sont pas moins, selon lui, destinées à reculer, finalement à disparaître par suite de l’avènement toujours plus général de l’homme à la vie de l’intelligence pure, qui est celle de la maturité, de la liberté, et qui sait se procurer par la méthode philosophique plus et mieux encore que les périodes antérieures n’ont pu tirer des méthodes religieuses.

Voici maintenant comment il procède. Il passe d’abord en revue les trois derniers siècles, qui se caractérisent, le XVIIe par un accord bénévolement, naïvement maintenu entre la foi traditionnelle et la philosophie, le XVIIIe par la guerre passionnée déclarée par la philosophie à la religion ou du moins au christianisme, le nôtre par la critique des deux grandes puissances, critique inspirée par le sentiment qu’aucune n’a dit son dernier mot, et que la solution du problème doit être cherchée plus avant que la confiance implicite du XVIIe siècle et la haine souvent aveugle du XVIIIe n’étaient en état de pénétrer. C’est surtout sur les temps voisins du nôtre que l’auteur s’arrête pour apprécier les divers essais de conciliation et même d’identification qui se rattachent à des noms illustres. Il arrive bientôt aux écoles théologiques de l’heure présente. Bien que très différentes de valeur, aucune ne lui paraît capable d’offrir à la foi religieuse un asile assuré contre les fluctuations et les orages de la pensée moderne. Faut-il donc revenir aux négations superficielles du dernier siècle ? Non ; quand on pense à la nature, à l’histoire, à la puissance encore si grande des religions, quand on se rappelle qu’une des grandes erreurs du siècle passé fut d’en nier l’origine spontanée et de ne voir que des calculs de sages ou de prêtres dans ce qu’il y a en principe de plus naïf et de moins artificiel au monde, il faut se garder de traiter légèrement le problème qu’elles posent à la pensée du philosophe. Celui-ci est tenu de savoir en expliquer la genèse, les développemens, l’influence. Ce n’est point l’étymologie qui l’aidera beaucoup dans cette recherche. Les mots religieux, comme les termes philosophiques, ont reçu de l’usage et des idées qui s’y associent une signification trop éloignée du sens originel, souvent fort douteux lui-même, pour que l’on puisse demander à cette science le secret du premier état religieux de l’humanité. Ce n’est pas non plus l’école historique qui résoudra la question. M. Vacherot, tout en louant beaucoup les travaux accomplis dans cet ordre, en veut un peu à cette école d’avoir conclu trop vite de l’universalité et de la longue durée des religions à la perpétuité de la religion comme état naturel et normal de l’âme humaine.