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entendre. J’étais curieux de savoir si le jeune Dickson était marié, et je le lui demandai. — Je ne le suis point encore, me répondit-il d’un ton plus calme ; selon l’usage du pays, j’ai déjà mon harem. Bientôt je prendrai une femme légitime ; ma mère est fille du dernier sultan, et, ayant par ma naissance du sang paduca dans les veines, j’épouserai une paduca. Cette alliance servira mon ambition ; un jour vous apprendrez peut-être que le sultan de ces îles s’appelle Dickson.

— Avez-vous d’autres titres qui justifient cette haute prétention ?

— Oui, répondit-il, ma haine contre l’Espagne ; mais cela ne suffit pas encore. Il me faudra guerroyer contre elle. Dès que j’aurai mon entrée dans les conseils du sultan, je m’en servirai pour pousser à la guerre, et si notre nouveau souverain, malgré sa parenté avec moi, veut continuer à courber nos têtes sous un joug odieux, malheur à lui, son règne ne sera pas long !

Depuis le début de cette conversation, l’attroupement formé autour de nous augmentait d’une manière inquiétante. Quelques indigènes adressèrent à voix basse à Dickson des paroles qui devaient être insultantes, car je le vis pâlir de colère. Ne voulant pas lui nuire, je m’empressai de m’éloigner en l’invitant à venir me voir à bord et même en France, si jamais il lui prenait fantaisie d’y retourner. A nuit close, lorsque, malgré une mer furieuse et un orage épouvantable, nous levions l’ancre pour nous diriger vers Cebu, il nous sembla qu’une pirogue aux allures mystérieuses rôdait autour de la Constancia.

Quien vive ? cria le matelot en vigie, et une voix montant de la mer prononça mon nom. C’était Dickson. Sans vouloir monter à bord, l’ambitieux Polynésien m’apportait, pour que je les gardasse en souvenir de ma visite à Soulou, trois armes superbes, deux compilans et un krish. A peine avais-je eu le temps de les recevoir et de lui crier merci qu’il disparaissait, emporté comme un oiseau de mer dans le sombre tourbillon de la tempête. Je n’ai plus entendu parler de lui.


IV

Cebu, où me déposa le capitaine de la Constancia, est plein des souvenirs de Magellan. Il y arriva le 7 avril 1521. Deux mille insulaires armés de lances l’entourèrent ainsi que son escorte aussitôt qu’il eut touché la plage. Tout de suite, ils voulurent échanger du riz, des noix de coco, des chèvres, des oiseaux, contre les miroirs et les jouets en verre que les Espagnols leur montraient. Hamabar, le roi des Cebuanos, offrit à Magellan une alliance, que ce dernier