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proscrit ; voilà pour les honnêtes gens de tous les partis ce qui consacre en quelque sorte la grandeur morale de l’exilé.

Pourtant cette dignité qui entoure la victime n’est pas une auréole qui la transfigure à jamais. Il n’y a d’irrévocable que la mort ; l’exil, et c’est peut-être ce qu’il a de plus cruel, l’exil est placé entre l’oubli, s’il demeure silencieux, et les illusions fatales, s’il est laborieux et actif. L’homme qui vit loin de sa patrie suit son chemin solitaire entre ces deux écueils, n’ayant pour se guider que des voix lointaines qui lui apportent naturellement plus d’encouragemens que de conseils. Tout change en ce monde, la vie et le progrès sont à ce prix ; ni le courage proscrit, ni le pays qui regrette son absence, ne sont affranchis de cette loi. Combien d’occasions de faire fausse route ! Combien peu de chances de se retrouver au même point avec une nation dont on ne partage plus l’existence, dont on ne peut plus connaître les besoins, dont on risque tous les jours de désapprendre le langage !

Il sera malaisé un jour de déterminer dans les œuvres de M. Victor Hugo le moment de la crise, la transition de ses anciennes opinions à ses opinions nouvelles. Comme un canal jeté entre deux cour ans différens a deux pentes opposées dont le point de départ serait facile à saisir sans les écluses, de même les idées sociales et les idées politiques de M. Victor Hugo ont un point de partage que les lecteurs pourraient aisément connaître sans l’intervention de pages demeurées longtemps inédites, dont la date inattendue les trouble et les laisse incertains sur la direction primitive des pensées de l’auteur. Cette difficulté n’existe pas pour l’époque de l’exil, elle se divise assez naturellement en trois périodes. Celle de l’indignation et de la colère, la plus éloquente de beaucoup, remplit l’espace de deux années. À cette fièvre de la vengeance succède une période de sérénité qui touche et intéresse, de fécondité intarissable que l’on admire, tout en regrettant qu’elle soit trop complaisante ; les erreurs et les taches sont couvertes par les victoires de ce vigoureux esprit sur l’énervante solitude. Avec la troisième période commencent les revanches décisives de l’isolement, qui ne pardonne pas dans ces longs duels engagés contre lui, surtout quand le soleil de la vie incline avec la rapidité fatale de la descente vers l’horizon où petits et grands, glorieux et obscurs, nous devons tous disparaître.

L’heure actuelle permet sans doute de parler librement de deux ouvrages que tout le monde a lus, et sur lesquels tous les organes de la publicité ont dû se taire, les Châtimens et Napoléon le Petit. Au moment où ils parurent, il fallait baisser la tête sous la puissance des événemens et garder pour soi les frémissemens généreux