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Parnasse, » ou bien : « Phébus vous parle par ma voix ! » Ces allégories ne tirent point à conséquence ; il y aurait trop de candeur à les prendre au sérieux. Cependant il faut une limite même à la métaphore, et l’exaltation d’un culte dont on est l’oracle peut ressembler à la glorification de soi-même. Le bruit n’est pas toujours une acclamation, et de loin il est facile de s’y tromper. Celui qui a écrit ces deux vers :

J’ai recueilli souvent, passant dans les nuées,
L’applaudissement fauve et sombre des huées,

trahit un mépris exagéré de la raillerie. C’est manquer d’un vrai respect ou d’une sympathie réelle pour sa personne que de ne pas l’en avertir. La dérision peut avoir tort ; cependant il n’y a pas de sublime qui tienne à la longue contre le rire.


Après une exagération plus ou moins sérieuse de la personnalité, ce qui est le plus notable dans les Contemplations, c’est la philosophie du poète, et cet élément était aussi dans les Châtimens. Jusqu’à ce dernier recueil, la poésie lyrique de M. Victor Hugo était (l’observation en a été faite avec beaucoup de justesse) toute pleine de soleil et de rayons. Cela n’est plus vrai depuis les Châtimens. Les pièces mêmes qu’il a consacrées avant son exil au souvenir de sa fille sont empreintes déjà de cette philosophie sombre qu’il s’est faite dans sa solitude. C’est toute une doctrine de poète sur la nature et sur la vie. On l’a prise en plaisanterie ; on s’est égayé sur les rimes perpétuelles d’ombre et de sombre, et l’on s’est occupé davantage de l’excès de personnalité comme d’une chose plus réelle. Par un procédé contraire, nous prendrions plus légèrement un peu d’orgueil dont on peut n’être pas dupe, et plus sérieusement une philosophie dont la douleur paternelle atteste la sincérité. Un mot la contient tout entière, c’est l’ombre. L’ombre est misérable, elle est abhorrée ; les morts s’en vont dans l’ombre ; elle enveloppe les malheureux ; l’auteur, en son exil, habite dans l’ombre. Cependant elle n’est pas purement mauvaise ; les penseurs boivent de l’ombre, les poètes inspirés sont ivres d’ombre. Comment expliquer cette énigme ? est-ce tout simplement une rime, moins qu’une rime, une cheville ? Qu’est-ce donc que l’ombre ? Après avoir lu les centaines, les milliers de vers où il en est question, il n’est guère permis de douter qu’elle soit tantôt le mal, tantôt le mélange du bien et du mal, d’autres fois la vie future dans laquelle se fera le discernement du bien et du mal. Ceux qui s’en vont dans l’ombre passent de ce monde dans l’autre ; ceux qui habitent en elle sont les hommes qui souffrent ; ceux qui s’enivrent d’elle sont les philosophes absorbés dans le problème des deux principes du bien et du