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Et si la fleur se veut cacher dans le gazon,
Il lui dit : « Es-tu bête ! il est de la maison[1]. »


De ce morceau et de ceux du même genre auxquels il attribue une date antérieure à 1840, où parurent les Rayons et les Ombres, il semblerait résulter que M. Victor Hugo n’a pas attendu ses derniers recueils pour nouer des relations intimes et confidentielles avec la nature. Soit, il est entendu que dès 1835, par exemple, les papillons ne se gênaient en rien pour lui, et que ses mouvemens ne faisaient pas envoler une mouche. Ne chicanons pas un grand poète pour de petits caprices : nous voulons bien que dès cette époque il ait cru à la métempsycose, qu’il ait été un peu Sylvain et charmeur d’oiseaux sans en faire part à personne. Les songes pythagoriciens d’Ennius ne l’ont pas empêché d’être le poète par excellence des vieux Romains. Celui-ci croyait être Homère ressuscité ; sur la pente où il s’est placé, nous ne voyons pas ce qui empêcherait l’auteur des Contemplations de se prendre pour Orphée revenu sur la terre afin de se faire entendre des rochers et des arbres. On ne peut plus distinguer en effet ce qu’il croit de ce qu’il imagine. Ces pierres dont il plaint le triste sort sont-elles bien Tibère ou Borgia[2] ? Il invoque pour elles la miséricorde divine. Est-ce un dérèglement d’imagination, est-ce un mysticisme nouveau ? Ces excès d’une simple figure poétique, l’allégorie, nous sembleraient avoir la même source douloureuse que la philosophie de l’ombre, l’isolement ; mais, puisque M. Victor Hugo leur donne une date bien antérieure, l’auteur, en les gardant de longues années en portefeuille, avait mieux entendu les intérêts de sa gloire.

Est-ce à dire que les Contemplations ne soient autre chose que les Châtimens tantôt amoindris, tantôt exagérés et délayés ? Telle n’est pas notre pensée. Outre les nombreuses poésies sur la mort de Mme Léopoldine Vacquerie, dont l’écrivain aurait pu faire un recueil à part, une couronne de précieuses immortelles, un pieux in memoriam consacré par une éloquence de douleur incomparable, outre certaines pièces charmantes comme le Revenant, admirables comme Melancholia, qui sont de l’époque précédente, il a des élans de l’âme, des cris du cœur où passion, rôle convenu, il a tout oublié. Ses soixante-dix vers ayant pour titre, Croyons, mais pas en nous, sont dignes des plus beaux temps du poète.

Insister longuement sur la Légende des siècles serait inutile. En mettant ce recueil au-dessous du précédent, le public a bien jugé. Avec moins de variété, il a plus de défauts, plus de marques

  1. Les Contemplations, t. Ier, p. 113.
  2. Voyez surtout la pièce de Pleurs dans la nuit, — Les Contemplations, t. II.