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Tandis que l’empereur dictait à Sainte-Hélène ces notes pleines d’orgueil, et savourait méchamment le plaisir d’énumérer les pièges qu’il avait tendus et les humiliations qu’il avait imposées au pape, que faisait Pie VII? Il pensait, lui aussi, à son ancien adversaire, mais dans un bien autre esprit. Rentré en possession de ses états, Pie VII était demeuré fidèle à l’affection jadis éprouvée pour Napoléon ; il gardait encore toutes ses illusions sur les dispositions héroïques et, suivant lui, sincèrement chrétiennes du grand homme avec lequel il avait signé le concordat. Voici la lettre touchante et trop peu connue que l’ancien captif de Savone écrivait en 1817 au sujet du malheureux prisonnier de Sainte-Hélène :


... « La famille de Napoléon nous a fait connaître par le cardinal Fesch que le rocher de Sainte-Hélène est mortel, et que le pauvre exilé se voit dépérir à chaque minute. Nous avons appris cette nouvelle avec une peine infinie, et vous la partagerez sans aucun doute, car nous devons nous souvenir tous les deux qu’après Dieu c’est à lui principalement qu’est dû le rétablissement de la religion dans ce grand royaume de France. La pieuse et courageuse initiative de 1801 nous a fait oublier et pardonner depuis longtemps les torts subséquens. Savone et Fontainebleau ne sont que des erreurs de l’esprit ou des égaremens de l’ambition humaine. Le concordat fut un acte chrétiennement et héroïquement sauveur. La mère et la famille de Napoléon font appel à notre miséricorde et générosité; nous pensons qu’il est juste d’y répondre. Nous sommes certain d’entrer dans vos intentions en vous chargeant d’écrire de notre part aux souverains alliés et notamment au prince régent. C’est votre cher et bon ami, et nous entendons que vous lui demandiez d’adoucir les souffrances d’un pareil exil. Ce serait pour notre cœur une joie sans pareille que d’avoir contribué à diminuer les tortures de Napoléon. Il ne peut plus être un danger pour quelqu’un, nous désirerions qu’il ne fût un remords pour personne[1]. »


Il nous semble que les paroles de Napoléon que nous venons de citer et la lettre de Pie VII marquent d’un trait vif et saisissant le caractère de chacun d’eux. Du représentant de la puissance civile ou du chef de l’autorité spirituelle, auquel en définitive est demeuré l’avantage? Nos lecteurs sont maintenant ou jamais en état d’en décider, car nous n’avons plus d’autres pièces à leur fournir, et ces documens sont les derniers que nous ayons réussi à nous procurer pour expliquer la véritable nature des rapports qui ont existé entre les deux personnages historiques qui font le principal intérêt de notre récit.


D’HAUSSONVILLE.

  1. Lettre du pape au cardinal Consalvi, Castel-Gandolfo, octobre 1817.