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UNE
ANNEXION D'AUTREFOIS

LE ROYAUME DE JAGELLO ET SON DERNIER HISTORIEN

L’an passé, le 10 janvier 1868, s’éteignait dans une ville lointaine, — au pied des Carpathes, — après une vie de longs labeurs et de longues épreuves, un érudit, un écrivain de premier ordre dont il est impossible de rappeler la mémoire sans l’accompagner d’un douloureux habent sua fata !… Il a doté son peuple d’œuvres profondes et charmantes, il a su lui retracer ses siècles de splendeur avec un génie merveilleux ; sous ses mains, l’histoire nationale a complètement changé de face, elle est devenue lumineuse, pleine d’expression et de vie. Placé dans des conditions autres et moins décevantes, citoyen d’un pays indépendant et libre, cet homme d’un grand talent et d’un grand cœur aurait pu prétendre aux dignités et aux honneurs, aurait facilement atteint la considération et la fortune : du moins la renommée et le retentissement n’auraient point certes manqué à ses travaux d’une science et d’un art également consommés… Mais il naquit sous un ciel inclément, sur une « terre de tombeaux et de croix, » chez une nation qui n’a point de patrie, et il eut pour partage la souffrance, le dévoûment et l’obscurité… Cette théorie des milieux, dont abuse si étrangement de nos jours une certaine école littéraire, elle pourrait bien trouver dans la circonstance son application légitime, poignante même : il est vrai que là encore le problème serait loin de constituer une simple question de climat et d’influences matérielles ; il serait toujours, il serait surtout une question morale, une question de liberté.