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Hedvige au son d’une musique ravissante ? Elle dansa, elle dansa avec son Guillaume ; les demoiselles de la cour dansèrent avec les autres beaux messieurs ; on s’enivra de joie, on renouvela maintes fois les sermens d’Haimbourg. Si enfant qu’on soit, l’on a toujours « un parti, » ses courtisans, alors qu’on est placé sur un trône ; la fille de Louis d’Anjou n’en manqua point : ils lui promettaient aide et assistance ; un oncle bénin, Allemand de cœur et de mœurs, le prince régnant d’Oppeln, protégeait ouvertement les jeunes amoureux, — et Jagello était loin, il soutenait à ce moment sa lutte contre l’ordre teutonique, il défendait son pays contre l’invasion de la « croisade. » La situation devenait grave, et déjà même on parlait de célébrer le mariage à la barbe des « politiques, » de le célébrer le 15 août, à la fête de l’Assomption, lorsque heureusement une étourderie de Guillaume vint tout compromettre. Il voulut un jour forcer l’entrée du château. On donna l’alarme ; le duc fut piteusement éconduit, et Dobieslaw put désormais mettre de bonnes gardes à toutes les issues de l’enceinte royale « pour protéger la jeune reine. » En réalité, elle fut prisonnière.

Les événemens à cet endroit, selon une gracieuse remarque de Szajnocha, prennent tout à fait l’allure d’un conte, de ce conte merveilleux que plus d’un parmi nous a probablement entendu dans son enfance, et qui commençait à peu près ainsi : Il y avait autrefois un grand château royal situé sur le haut d’un rocher aux bords d’un large fleuve, dans le château demeurait une princesse royale d’une beauté admirable, au pied du rocher soupirait un prince charmant qui possédait son cœur ; mais des vieillards terribles tenaient prisonnière la fille des rois, dont ils destinaient la main à un monarque étranger, un païen, lorsqu’un jour… Un jour en effet ou plutôt un soir (et ici l’histoire reprend son style sobre et véridique), la fille des rois quittait ses appartemens accompagnée de quelques fidèles servantes : elle voulait s’échapper de sa prison, s’enfuir avec son « fiancé, » qui l’attendait caché dans la ville. Elle ne descendit point par le grand escalier d’honneur, elle prit un petit escalier tournant qui donnait sur un guichet qu’on montre encore aujourd’hui au château de Wawel[1]. Le guichet était ordinairement libre ; mais cette fois on le trouva fermé, et des gardes y étaient postés, comme partout. Un dialogue étrange s’établit alors : a Ouvrez ! — Cela nous est, défendu. — Qui vous le défend ? — Les seigneurs. — Mais je suis votre reine ! Donnez-moi une de vos haches…. »

  1. Ce magnifique château de Wawel, qui rappelle tant de souvenirs glorieux et qui garde encore les cendres de tous les rois de Pologne, il a été changé en caserne depuis l’incorporation de Cracovie à l’Autriche (1846). Il serait digne de l’empereur François-Joseph de faire cesser une profanation aussi honteuse et de rendre l’antique demeure des Jagellons a une destination plus convenable.