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conscription; elle n’est pas là plus populaire qu’en Espagne. On évalue à 200 millions l’ensemble des travaux exécutés depuis quinze ans. Ces sacrifices peuvent aujourd’hui se réduire sans inconvénient. Le Portugal s’est laissé gagner par un sentiment bien naturel qu’on peut appeler l’impatience du progrès. Considérés en eux-mêmes, les travaux accomplis n’ont rien d’excessif; il en faudrait dix fois plus pour mettre ce royaume au niveau des nations les plus avancées. Exécutés en si peu de temps, ils ont dépassé la mesure de l’utilité immédiate. Ces chemins de fer manquent de trafic, ces routes sont peu fréquentées. Les habitudes n’ont pas pu changer par enchantement. Les travaux publics eux-mêmes, si utiles qu’ils doivent être un jour, ont pour premier effet, quand ils sont poussés trop vite, de détourner les capitaux et les bras d’autres emplois plus productifs.

Ces dépenses manquent surtout le but quand il faut avoir recours à des emprunts onéreux. Malgré la suppression de l’amortissement et une série de banqueroutes partielles, l’intérêt de la dette publique absorbe annuellement un tiers du budget. Il serait insensé d’accroître encore une charge si lourde. En fait de progrès, le plus grand de tous serait de renoncer à l’emprunt; l’état qui donnera cet exemple à l’Europe se fera le plus grand honneur. Il y a d’ailleurs dans tout ce qui s’est fait en Portugal depuis vingt ans un vice que M. Rebello da Silva paraît sentir: c’est l’excès de centralisation. Rien n’est à la longue plus nuisible aux intérêts généraux. Les œuvres du pouvoir central ont un caractère de grandeur très apparent. Celles des administrations locales, plus modestes et moins visibles, répondent mieux aux besoins. On semble le comprendre, car on parle de se confier davantage aux conseils de district et de municipalité. L’augmentation qu’on désire obtenir dans les impôts directs rencontrerait probablement moins de difficultés, si elle prenait la forme de contributions locales.

Au bout du compte, le Portugal est proportionnellement plus riche et plus peuplé que l’Espagne, la Corse, la Sardaigne, la Grèce, tous les pays analogues. L’Espagne n’a que 32 habitans par 100 hectares, la Corse 29, la Sardaigne 25, la Grèce 26. Il n’y a dans le pourtour de la Méditerranée que l’Italie qui lui soit supérieure, et cette différence date de loin. Les pays méridionaux, les plus riches de tous quand l’homme y domine la nature, sont ceux qui tombent, quand ils sont négligés, dans la stérilité la plus complète. Il faut ensuite, pour réparer le mal, beaucoup de temps et d’efforts. Même en France, le Portugal peut presque soutenir la comparaison avec les seize départemens qui forment la région provençale. Ces départemens ont ensemble 9 millions d’hectares, exactement l’étendue du Portugal. Ils contiennent à peu près une égale proportion de montagnes, si l’on remonte jusqu’à l’Aveyron, au Cantal et à la Haute-Loire, pour redescendre le long des Alpes, de l’autre côté du Rhône.