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Que signifie le nom de Jehovah ? On a voulu le rapprocher du Jao phénicien et de quelques autres formes analogues. Pourquoi donc cette manie d’expliquer par des emprunts continuels le développement religieux du peuple le plus original en religion que l’histoire connaisse ? Le nom de Jehovah signifie « celui qui est » au sens absolu, ou mieux encore, en vertu d’une nuance de la conjugaison hébraïque, « celui qui fait être, » le promoteur de la vie, et l’analogie avec l’idée religieuse essentielle du sémitisme nous ferait incliner vers cette seconde interprétation. Remarquons aussi que Jehovah n’a pas d’épouse, il n’a besoin que de lui-même pour produire la vie. Peut-être est-ce là un des traits essentiels qui ont permis à Moïse d’affirmer qu’il était au fond le même dieu qu’El-Schaddaï. Le fait est que nous ne voyons nulle part El-Schaddaï associé à une déesse. Pourquoi ? C’est un point des plus obscurs. Il y avait du reste d’autres exemples de dieux sémitiques adorés seuls, leur épouse étant négligée ou considérée comme une puissance malfaisante, et quelques détails mystérieux du culte traditionnel des Israélites, le bouc Azazel par exemple ou la vache rousse, semblent indiquer un vieux dualisme originel dont le sens se perdit complètement. Quoi qu’il en soit, El-Schaddaï ou Jehovah engendre seul la vie en fécondant avec son esprit les élémens encore informes. Ce serait déjà, dira-t-on, le monothéisme presque complet. Moïse a-t-il eu la claire conscience de ce qu’emportait avec soi cette notion de Dieu, et en a-t-il tiré les conséquences ? Voilà ce qu’il faut révoquer fortement en doute. Moïse a dû croire que son Jehovah était le plus ancien et le plus puissant des dieux ; mais on n’a aucun motif de penser qu’il ait été plus loin, et qu’il ait transformé radicalement la religion héréditaire de son peuple. Les formes sous lesquelles le jehovisme se montre à nous aux époques ultérieures nous le dénoncent toujours comme plus ou moins conforme par ses institutions, ses rites, son langage religieux, aux autres religions sémitiques. Par exemple, le peuple d’Israël adore pendant très longtemps Jehovah sous l’image d’un jeune taureau de métal, et ne se fait aucun scrupule d’adorer en même temps d’autres dieux. Ce culte du taureau ou veau d’or doit avoir été bien profondément implanté dans les affections du peuple. Jéroboam, au lendemain de la révolution qui le mit sur le trône, chercha dans la restauration de ce culte une garantie de stabilité pour sa dynastie, et l’événement prouva que son attente était fondée. Sans doute le peuple ne confondait pas l’image métallique avec Jehovah ; mais on est inévitablement frappé de l’identité du seul symbole visible que l’histoire adjuge au dieu d’Israël avec l’idole par excellence des peuples sémites. Même au temple de Jérusalem et en pleine orthodoxie jehoviste, l’autel des