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froideur n’était que la déception d’un cœur à jamais blessé. Il avait adoré sa première femme, morte après trois années de mariage, et ce malheur avait fait dévier son caractère en empoisonnant sa vie. Fils très respectueux, mais en même temps souverain bien intentionné, on le voit s’arrêter à certaine limite dans cette obéissance que l’impératrice réclame ; M. d’Arneth a fort habilement ajouté à ses trois volumes un certain nombre des lettres qu’il écrivait à Léopold, et où se montrent dans leur vraie lumière les sentimens suscités dans l’âme de Joseph par les exigences maternelles. Parfois la division éclate malgré l’affection réciproque à propos de quelque grave question politique, telle que le démembrement de la Pologne ou la succession de Bavière, et l’intérêt se double à voir ainsi l’histoire morale se mêler à l’histoire politique. A partir d’aujourd’hui seulement, la vie de Joseph II peut s’écrire. Son dernier biographe, M. A. Jaeger, s’était encore laissé tromper à toute une correspondance publiée sous le nom de ce prince ; l’habile archiviste de Vienne a démontré qu’elle était apocryphe. On trouvera cette démonstration de M. d’Arneth insérée dans le livre récent de M. Sébastien Brunner sur les affaires religieuses pendant le règne de Joseph II[1].

Chemin faisant, et tout en publiant les cinq importans volumes dont nous venons de parler, M. d’Arneth avait recueilli dans les papiers de Kaunitz tout un dossier relatif à notre Beaumarchais ; il l’a publié il y a quelques mois sous ce titre : Beaumarchais et Sonnenfels. Il ne s’agit de rien moins dans cette enquête que d’une grave accusation à propos de l’étrange histoire du juif Angelucci, depuis longtemps connue. Beaumarchais, qui l’a lui-même racontée dans sa correspondance, aurait inventé toute cette histoire, et fabriqué sous ce faux nom d’Angelucci un scandaleux pamphlet contre Marie-Antoinette, afin d’escroquer une grosse somme au gouvernement de Louis XVI en se faisant donner la mission de poursuivre et de détruire le pamphlet. Nous avons vainement cherché, soit aux archives de la préfecture de police, soit dans les papiers de Beaumarchais acquis par la Comédie-Française, quelque document de nature à réfuter nettement cette accusation. D’autre part les pièces réunies par Kaunitz et toute son enquête sont loin d’être probantes. Il est fort vraisemblable que M. de Loménie a dit le dernier mot à ce sujet[2].

Le nouveau volume publié tout récemment par M. d’Arneth, Joseph II et Catherine II[3], contient, en près de deux cents lettres, la correspondance échangée entre ces deux alliés, maîtres de l’Europe orientale, et ne s’interrompt que par la mort de l’empereur

  1. Die theologische Dienerschaft am Hofe Joseph II, in-8o ; Vienne 1868.
  2. Voyez la Revue du 1er mars 1853.
  3. Joseph II und Katharina von Russland. Ihr Driefwechsel, Vienne 1869, un fort volume in-8o. — Suivant la coutume de l’éditeur, l’introduction et les notes sont en allemand ; mais les lettres sont données dans le texte original, c’est-à-dire en ce français souvent étrange qui était alors la langue des cours.