Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/1023

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Sybel, dans lequel l’auteur a eu pour but particulier de considérer le grand fait de la révolution française moins en lui-même que dans ses rapports avec l’histoire générale de l’Europe. D’une part les relations diplomatiques soit de la France révolutionnaire avec les puissances, soit de celles-ci entre elles, d’autre part la réciprocité des contre-coups dans l’ébranlement général de toute l’Europe, enfin l’interprétation d’un si grand drame patiemment étudié par un publiciste d’outre-Rhin, voilà les nouvelles sources d’intérêt dans ce livre. Il offrira surtout au lecteur attentif cet avantage d’avoir été composé avec le secours d’un grand nombre d’archives qui ne s’étaient pas encore ouvertes.

M. de Sybel est Allemand et, qui plus est, Prussien ; il ne faudra donc pas s’étonner, si l’on trouve à redire à quelques-uns de ses jugemens, soit sur la Pologne et l’Autriche, soit sur la France. M. de Sybel est parfois aussi, pourrait-on dire, trop économiste, trop politique, trop logicien : par exemple, on le verra calculer froidement en 92 combien de ressources manquent à la France, en quel désarroi sont nos finances, avec quelle précipitation nos levées sont faites, et quels élémens composent nos armées ; la défaite va être infaillible. Pour expliquer cependant nos victoires, M. de Sybel recherche et énumère avec grand soin les fautes commises par les alliés. La vraie interprétation est ailleurs ; mais il fallait, pour la saisir, cette claire intelligence du génie de notre nation, ce sentiment vif des réalités et des passions d’alors qui sont difficilement le partage d’un observateur étranger. M. de Sybel est d’ailleurs du nombre de ceux qui, admirant le magnifique essor de 89, maudissent les fautes (sans compter les crimes) qui ont fait aboutir la révolution française au pouvoir militaire et absolu. Hors Mirabeau, il ne trouve pas dans la constituante un esprit vraiment politique ; il s’étonne de la maladresse, de l’inexpérience, de l’imprévoyante naïveté qui dominent chez les meilleurs, et font dévier le grand fleuve hors de son lit naturel. Il médite avec Arthur Young, avec d’éloquens et graves publicistes de notre temps, comme Alexis de Tocqueville et son habile continuateur M. Léonce de Lavergne, sur les nobles réformes qu’avait déjà tentées la France dans les années qui précèdent la révolution ; il rappelle les honnêtes velléités d’un Louis XVI, la ferme intelligence d’un Turgot ; il énumère les progrès ébauchés, la diffusion contagieuse de la petite propriété… 1789 n’allait-il pas d’un bond franchir tous les obstacles, annuler toutes les barrières, combler tous les abîmes ? Il ne fallait pas, hélas ! si l’on voulait permettre aux plus heureux résultats de se produire, perdre de vue le domaine vraiment politique pour se livrer aux abstractions ou bien au sentiment ; il ne fallait, pense M. de Sybel, ni vaine déclaration des droits de l’homme, ni imprudente conclusion de cette nuit du 4 août, pourtant si bien commencée.

Le lecteur français ne le suivra pas sans doute dans un grand nombre de ses appréciations, ni dans les derniers détours diplomatiques où il s’est