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engagé ; mais l’homme d’étude voudra pénétrer dans ces complexes négociations européennes, que l’auteur allemand juge avec plus de sûreté que notre histoire intérieure. M. de Sybel n’a pas cru, il est vrai, devoir raconter après d’éminens narrateurs français les épisodes les plus célèbres et les scènes les plus mémorables de la révolution ; mais il a donné un grand soin à la peinture des caractères, et plusieurs de ces pages mériteront d’être remarquées. Le chapitre intitulé les Droits de l’homme offre une série de portraits des membres de la constituante. À droite, les partisans absolus du passé : l’abbé Maury, « hardi orateur, pétillant d’esprit, de mœurs légères, sans moralité politique, prêt à changer facilement de couleur, mais déterminé à cette époque à défendre, moitié raillant, moitié sérieux, la monarchie, la légitimité, la religion. » A côté de lui, Cazalès, « officier chevaleresque, sans peur et sans reproche, d’un jugement étroit, mais juste, d’une âme ardente et d’un caractère impétueux, orateur toujours prêt au combat, et ne demandant pas mieux que de soutenir ses principes l’épée à la main. — En général, ce parti avait tous les défauts et toutes les vertus de l’ancien régime : courage aventureux, esprit frivole, entêtement indomptable. » Au centre, parmi les modérés, certains politiques de caractère et de talent, « Lally-Tollendal, éloquent et inspiré, Malouet, toujours actif, toujours sincère, Mounier, qui possédait une haute intelligence et de vastes connaissances ; avant tout autre, il avait prédit à ses amis de province la chute de la féodalité, et il annonçait maintenant d’une manière plus précise encore les dangers de la situation nouvelle. » Parmi les gens de la gauche, « hommes probes pour la plupart, mais chez qui l’intelligence et le caractère n’étaient pas à la hauteur de la tâche, Talleyrand, évêque d’Autun, gentilhomme de haute naissance qui, par suite d’un défaut de conformation, était entré dans les ordres, mais avec les idées les plus profanes ; esprit pénétrant et subtil, avec un jugement froid et un profond mépris de l’humanité ; aimable et facile dans les actes de la vie privée, avide et sans conscience dans les actes de la vie politique. — Les chefs du club breton se faisaient remarquer par leur violence radicale. A côté du spirituel et hardi logicien Duport, le chevalier de Lameth et l’avocat Barnave, l’un orateur inspiré et persuasif, de mœurs pures et d’un caractère aimable, mais entraîné par un fanatisme sans bornes ; l’autre, esprit superficiel et creux, mais remuant et entreprenant. On disait d’eux : Ce que Duport pense, Barnave le dit, et Lameth le fait. — Le seul homme dans l’assemblée qui fût à la hauteur de sa mission était Mirabeau… » Suit une page remarquable dans laquelle l’auteur retrace la grande figure ; cela le conduit à décrire les autres physionomies de la tribune ou de la presse périodique ; le plus remarquable journaliste pendant la période de la constituante est, à son gré, Camille Desmoulins. « Son babillage léger offrait un continuel mélange de patriotisme et de gaîté un peu licencieuse, d’amour de la liberté et de mordante raillerie, de grâce et de cruauté ; ses écrits ressemblaient