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Ce fut un coup terrible pour le jehovisme. Sa théorie favorite et son plus zélé protecteur lui échappaient à la fois. C’est peut-être alors que parut ce livre de Job, dont les origines sont si mystérieuses, et qui traite sur un mode profondément inconnu jusqu’alors au monde sémitique la grande question de la justice divine et de ses rapports avec la destinée des justes, car le monothéisme comptait déjà des partisans qui adhéraient à sa thèse fondamentale par réflexion, par raisonnement abstrait, en dehors des questions de patrie et de rituel. Ils n’étaient ni superstitieux comme le peuple, ni puritains comme les prophètes ; ils étaient les sages. Ils aimaient à remonter jusqu’à Salomon comme à l’initiateur de leur tendance pacifique et méditative. Sans doute leur action immédiate était peu marquée ; on ne les apercevait guère aux jours de tempête, et la plus extrême prudence semble avoir toujours été la vertu la plus appréciée parmi eux. Toutefois, aux jours d’abattement, d’hésitation, de scepticisme, il n’était pas indifférent de les retrouver toujours les mêmes, toujours attachés au monothéisme par choix réfléchi et parce que le monothéisme était la sagesse. Ils contribuèrent donc fortement à sauver le jehovisme de l’immense danger que les revers de Josias lui avaient fait courir ; mais, si les esprits les plus religieux purent se résigner à ce qui s’appela depuis lors la volonté impénétrable de l’Éternel, il n’en put être de même de la grande multitude. Celle-ci, comme il fallait s’y attendre, eut un renouveau de polythéisme. Les prophètes contemporains, Habacuc, Jérémie, Ézéchiel, d’autres encore, nous ont laissé des tableaux désolans des « infidélités » sans nombre dont Israël se rendit coupable. Les successeurs de Josias n’eurent qu’à retirer l’appui officiel que leur prédécesseur avait prêté au monothéisme pour que l’ancien état de choses reparût. Les jehovistes purs ne cessèrent pendant tout ce temps de prédire les plus grands désastres à la « nation adultère, » et les circonstances étaient telles qu’ils n’avaient pas besoin du don de seconde vue pour prévoir la ruine totale d’Israël. Nébucadnetzar, qui brûla le temple de Salomon, fut sans le savoir le vengeur de Jehovah. Il est douteux que, si ce temple fût resté debout, le monothéisme eût réussi à s’implanter solidement autour de lui ; les murs, les traditions, les ornemens, tout y parlait d’un temps où Jehovah, — moins jaloux et à la seule condition que son arche, son domicile proprement dit, fût respectée, — supportait qu’on adorât dans le voisinage des divinités beaucoup moins détachées que lui de la nature, et par conséquent beaucoup moins austères.

Le parti jehoviste ne plia jamais sous le poids de l’adversité. A côté de son extrême ferveur et de ce que dans d’autres temps on eût eu le droit d’appeler son fanatisme, il avait pour lui la