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supériorité morale, le trait rationaliste, son mépris railleur des absurdités de l’idolâtrie. C’est lui qui maintint la nationalité juive sur la terre d’exil, lui qui revint sur le sol sacré des pères, lui enfin qui refit un peuple, et cette fois le fit à son image. Le patriotisme est la source proprement dite du monothéisme juif ; en récompense, ce monothéisme sauva la patrie juive, et si quelque chose est de nature à encourager dans tous les temps les amis du spiritualisme religieux, lorsque les événemens et les hommes semblent conjurés pour les écraser, c’est de voir ce que peuvent pour les destinées de leur pays et du monde ces « sept mille qui jamais ne fléchissent le genou » ni devant Baal ni devant les veaux d’or. Ce sont toujours eux qui restent les derniers sur les champs de bataille de l’histoire.

La critique a-t-elle réussi encore cette fois à arracher son secret à l’une des parties les plus obscures de l’antiquité ? A combien de reprises ne l’a-t-on pas défiée de présenter une explication quelque peu satisfaisante de ce monothéisme juif, surgissant du sein de l’ancien Israël comme une plante sans racines qui croît d’une façon miraculeuse ! On pouvait, il est vrai, répondre que rien n’autorise à conclure qu’une chose est surnaturelle parce qu’elle demeure inexpliquée ; mais rien ne vaut en pareil cas l’argument de fait que l’on peut tirer d’une explication rationnelle, et il nous semble que, sauf correction toujours possible des détails, les principales évolutions de l’idée religieuse en Israël sont désormais marquées dans leur succession historique et logique. D’autre part il ne faudrait pas que cette sécularisation continue de l’histoire sainte servît de prétexte aux adversaires de toute religion pour entonner un chant de triomphe. Depuis que l’idée de l’immanence de Dieu dans le monde et dans l’histoire s’est substituée dans nos consciences à l’ancien dualisme qui ne reconnaissait l’action divine qu’aux interventions miraculeuses d’une puissance extérieure au monde, la foi éclairée ne peut rien craindre des résultats de la critique indépendante. Il est avéré que les religions humaines ne se fondent ni par des coups d’état célestes, ni par des syllogismes de philosophes, ni par des décrets de législateurs. Elles sortent à leur heure, sur un point donné du globe, du fonds inépuisable de l’esprit humain, que l’Être infini sollicite sans cesse à s’élever graduellement vers lui. Elles sont donc les filles d’une inspiration primordiale, toujours entretenue. Rechercher par quelle série de moyens termes l’homme passe de son ignorance enfantine aux conceptions les plus sublimes, ce n’est pas du tout bannir Dieu de l’histoire ; au contraire c’est suivre à la trace le travail de son esprit dans l’humanité.


ALBERT REVILLE.