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pour le roi, soit pour une des chambres, de refuser ou de retirer son adhésion à la loi, on va au-devant du despotisme, qui s’érigera au bénéfice des représentans de la nation ou du pouvoir exécutif. C’est cette conséquence qui frappait Livingston quand il disait que, « la tendance des deux chambres étant d’empiéter sur le pouvoir exécutif il était indispensable de confier à ce dernier un frein pour contenir leur puissance. » C’est aussi ce qui a provoqué cette exclamation de Mirabeau : « j’aimerais mieux vivre à Constantinople qu’en France, si le roi n’avait pas le droit de veto ! »

Le refus que fait le roi de sanctionner une loi doit être considéra comme un avertissement qu’il adresse au pouvoir délibérant. Il correspond à celui que les chambres adressent au pouvoir exécutif quand par le rejet de ses propositions elles signifient au roi que la politique dont ses ministres sont l’expression n’a pas leur confiance. Ces avertissemens réciproques tiennent en suspens l’action législative et aboutissent forcément ou à la levée du veto, ou à la dissolution des assemblées. Si, appelé à se prononcer, le peuple, qui doit avoir le dernier mot, envoie les mêmes députés ou des députés professant l’opinion qui a provoqué le conflit, il faudra que le prince « obéisse ; » c’est l’expression dont se sert le grand orateur de l’assemblée constituante, car c’est seulement pour exécuter les volontés nationales que le souverain a été établi sur le trône.

Aux États-Unis, le président est armé d’un veto suspensif. Il n’a pas le droit de dissolution, comme le chef du pouvoir exécutif dans une monarchie parlementaire ; mais le conflit est tranché, le veto annihilé, lorsque dans une nouvelle délibération du congrès la majorité en faveur de la proposition contestée se compose des deux tiers des votans. Si en Angleterre personne, ne conteste à la couronne le droit de veto, on ne le trouve pas appliqué une seule fois dans les annales parlementaires de ce pays. Il en est de même en Belgique. Chez nous, de 1814 à 1848, on ne peut citer que deux circonstances dans lesquelles cette prérogative s’est exercée, et le fait est passé inaperçu, même aux yeux des contemporains[1]. Pris à la lettre, ce ressort du mécanisme constitutionnel peut engendrer des difficultés et causer des agitations ; mais il n’y a pas de constitution qui ne contienne, si on veut bien le chercher, un article 14 que le pouvoir royal ou le pouvoir populaire peut invoquer afin de se mettre au-dessus de la légalité constitutionnelle. Il n’y a de remède à ce vice naturel que la sagesse humaine.

  1. Le roi Louis-Philippe n’a jamais sanctionné et promulgué la loi qui reconnaissait les grades accordés à l’armée dans les cent jours, ni celle émanée d’une proposition de M. Mounier, pair de France, qui attachait un traitement à la décoration de la Légion d’honneur.