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On le voit, cette société arabe a beaucoup d’analogie avec notre société du moyen âge. Les khammès répondent à nos anciens serfs, les fellahs à cette classe moyenne qui s’était formée bien avant l’affranchissement des communes, mais qui mit plusieurs siècles à prendre son essor, écrasée qu’elle était sous l’omnipotence de la noblesse et ruinée par les exactions de la féodalité. Les cavaliers nous représentent assez fidèlement les anciens chevaliers, n’estimant rien que la guerre ou les images de la guerre, c’est-à-dire la chasse et les tournois. L’oppression de la plèbe, les rapines et les exactions de la noblesse, les droits d’investiture et les corvées établies au profit des grands, toutes les plaies que l’histoire nous montre à l’origine des sociétés sont ici singulièrement élargies par le fléau du monde musulman, le communisme, c’est-à-dire l’état social le plus propre à engendrer les abus, à décourager l’initiative individuelle, à empêcher le crédit de naître et l’épargne de se former. Voilà l’ennemi qu’il fallait s’efforcer de vaincre. Ce n’est point en distribuant des semences aux indigènes, en s’évertuant à leur trouver du travail sur les routes, dans les villes, partout où s’exécutent quelques travaux publics, qu’on supprimera les causes qui ont rendu si désastreuse la disette de 1868. Ce n’est pas même en répandant dans les tribus, comme on le fait depuis quelque temps, des échantillons de nos instrumens agricoles, qu’on pourra prévenir le retour de pareils malheurs. Ces mesures, bonnes en elles-mêmes, toutes celles du même genre que pourra suggérer à l’administration sa sollicitude pour les indigènes, ne seront jamais que des palliatifs. Il ne s’agit pas seulement, pour préserver la race arabe des élémens de dissolution qu’elle renferme, de la faire vivre artificiellement, il ne suffit pas, pour tirer parti de l’Algérie, d’introduire sous la tente quelques réformes de détails ; il faut modifier profondément l’organisation de la tribu.

La fondation des collèges arabes français aurait pu être une mesure féconde, si l’administration n’avait pour principe d’y faire entrer exclusivement de jeunes nobles, de futurs représentans de l’aristocratie. Compte-t-on sur ces enfans pour accomplir la transformation que les circonstances réclament impérieusement ? Espère-t-on qu’en sortant de nos écoles ils voudront bien travailler à détruire les privilèges de leur caste ? L’histoire de la Turquie est là pour témoigner que ce ne sont pas les sentimens généreux, les idées élevées, que les sectateurs de l’islam viennent puiser dans la civilisation européenne. Ils nous empruntent nos vices élégans, ils s’éprennent de notre luxe, ils convoitent nos jouissances : leurs aspirations ne vont pas au-delà. Notre société ne leur apparaît que sous cet aspect, le seul, il faut bien le dire, qui puisse toucher une imagination musulmane. Quant à ces puissans leviers qui ont remué la