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vieille Europe, quant à ces grands principes auxquels nous devons le renouvellement de notre société française, ils y demeurent complètement étrangers. Les jeunes fils de famille que le gouvernement turc envoie se former à nos écoles se comportent-ils, une fois revenus dans leur pays, en véritables amis du progrès ? S’attachent-ils, lorsqu’ils sont au pouvoir, à corriger les abus d’une administration déplorable, à modifier les mœurs, à réformer les institutions de leur patrie ? Leur séjour en France fait souvent d’eux des hommes distingués, aux manières élégantes, à l’esprit cultivé, mais jamais des réformateurs et rarement des administrateurs scrupuleux. Il serait donc chimérique de compter sur la jeune aristocratie arabe, même instruite dans nos écoles, pour aider à l’accomplissement des réformes radicales sans lesquelles il ne faut rien attendre ni des indigènes ni de l’Algérie.

Il ne manque pas de gens pour soutenir qu’il est puéril de fonder aucun espoir sur les Arabes, que cette race paresseuse et contemplative demeurera toujours inerte, même au contact de notre activité. Nous devons dire encore que bien des colons, au plus fort de la famine, tout en s’apitoyant à la vue de tant de misères, ont considéré la mortalité des Arabes comme un fait inévitable, et l’ont envisagée sans effroi comme un symptôme de prochaine disparition. S’il en devait être ainsi, il faudrait s’en affliger, non s’en réjouir. A notre avis, indigènes et colons pourront se rendre de mutuels services. Sans doute il n’y a pas de prospérité possible sans une large colonisation ; mais il n’y en a pas davantage sans une main-d’œuvre à bas prix, car l’Algérie donne à peu près les mêmes produits que la France, et, plus éloignée du marché européen, est forcée, pour prospérer, de les obtenir à moins de frais. Ceux qui condamnent un peu vite les indigènes veulent bien faire une exception pour la race kabyle ; mais n’y a-t-il pas lieu d’en faire une autre pour une partie de la population arabe, pour les khammès ? Ne voit-on pas tout le parti qu’on pourra tirer de cette classe le jour où son travail sera véritablement affranchi ? Or l’affranchissement du travail et la dissolution de La tribu sont intimement liés à l’établissement de la propriété individuelle ; par là s’accomplira pacifiquement une révolution indispensable.


II

Il est aujourd’hui superflu de rechercher si nous avons bien ou mal fait de coloniser l’Algérie. La France ne peut songer à revenir sur ses pas, à défaire une œuvre commencée. C’est en colons que nous nous sommes établis sur la terre africaine, c’est en colons que nous devons y rester, et les sacrifices du passé comme les