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bravoure personnelle, déployée avec éclat sur les champs d’Oudenarde et de Dettingen. En revanche, son intelligence était plus bornée encore que celle du roi auquel il devait succéder ; il aimait l’or pour lui-même, il le contemplait, il le palpait avec volupté. — Finissez de compter ces guinées, ou je vous laisse la place, lui dit un jour, écœurée, — l’historiette est signée Horace Walpole, — une des femmes de chambre de sa femme qu’il poursuivait de ses importunités mal venues. Les petites choses le préoccupaient à l’exclusion des plus importantes, une vétille de service à l’égal d’une impertinence diplomatique. Un jour de grand lever, le voyant soucieux et sombre, les courtisans ébahis crurent à l’arrivée de quelque grosse nouvelle. Je ne sais quelle insignifiante bévue commise par un valet, et dont personne que le prince ne s’était aperçu, avait amené ce nuage. Ses minutes étaient aussi exactement comptées que ses guinées, et il attendait, montre en main, à la porte de sa maîtresse, que l’heure du rendez-vous quotidien eût régulièrement sonné. Il courtisait à grand bruit et grand scandale mainte femme dont il ne se souciait guère, ne voulant pas sembler épris de la sienne, qui, fort peu jalouse, lui laissait l’apparence d’une liberté absolue. Jamais elle ne s’avisa de prendre garde à ses infidélités. Elle traitait avec une condescendance ironique Henrietta Hobart (mistress Howard), — qui devint ensuite comtesse de Suflolk, — et, souriant, réclamait de « sa bonne sœur » les services que l’étiquette lui permettait d’exiger d’elle. D’humeur placide et bienveillante, — de plus parfaitement sourde, — cette rivale inoffensive paraissait monopoliser la faveur royale à ce point que de vieux courtisans crurent faire merveille en se groupant autour d’elle pour exploiter en commun et accaparer à leur profit une influence qu’ils supposaient solidement établie. Chesterfield, Gay, Swift, conçurent cette espérance, et commirent cette maladresse ; Pope, Arbuthnot, Bolingbroke, en firent autant, et la Suffolk, qu’ils portaient aux nues, pouvait se croire déesse. La vraie déesse pourtant, c’était la reine dans la solitude où on la laissait, et où Robert Walpole, — un fin renard, — venait en fort petit comité lui tenir compagnie. Du reste une plume élégante a ainsi esquissé le portrait de Caroline d’Anspach. « Jeune, elle avait été belle[1] ; il lui restait une physionomie expressive, un sourire d’une extrême douceur. Sa réputation était immaculée, sa conduite marquée au coin de la prudence et du bon sens. Durant ces violentes querelles qui mirent en lutte son beau-père et son mari, elle sut conserver l’estime du premier sans perdre l’affection du second. Jusqu’à George III, aucun membre de sa famille n’avait obtenu au même degré qu’elle

  1. Son mariage est de 1705. Elle était née en 1683 et avait passé trente ans lorsqu’elle devint princesse de Galles. Lady Cowper était, à fort peu de chose près, du même âge que sa maîtresse.