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paroles, il serait souverainement imprudent de se fier à leurs menteuses professions de foi et d’obéissance passive.

La duchesse de Shrewsbury a-t-elle affirmé à la princesse, comme on le prétend, qu’à son arrivée en Angleterre les femmes de gentilshommes lui avaient baisé la main ? Le duc est furieux de ce ridicule mensonge ; sa femme paraît indignée qu’on le lui attribue. A certain point de vue, elle est dans son droit, car personne ne doit répéter au dehors les propos tenus chez la princesse.

Celle-ci me traite avec une tendresse et des marques d’estime que j’apprécie au-delà de tout ce que je saurais dire. Je répondrai à sa confiance par une droiture, une sincérité absolues, car je suis venue à la cour avec le ferme propos de ne jamais me permettre un mensonge. Un bon trait de la comtesse de Nottingham. Cette dévote rigide a quitté la chapelle avant la fin du service pour aller occuper sa place à la réception derrière le fauteuil de la princesse, donnant ainsi la préférence au pouvoir terrestre sur celui d’en haut. Parlez-moi des zélés de la haute église ! Pour moi, j’étais harassée de fatigue à force de me tenir debout. Il m’a fallu deux jours entiers de repos pour me remettre.

25 novembre. — M. de Bernstorff m’est venu trouver dans l’après-midi. Selon lui, le comte de Nottingham et l’évêque de Bristol commencent à être connus pour ce qu’ils sont, des tories sournois, et leur règne touche à sa fin. Je suis allée à la cour, où le prince était malade par suite d’un repas trop copieux. Bien qu’il eût pris le lit, les dames du palais étaient introduites, et ont joué l’hombre avec les gentilshommes du prince. Par une bonne fortune assez rare, j’ai gagné huit guinées.

29 novembre. — La princesse m’a remerciée d’avoir l’autre jour, à dîner chez mistress Clayton, porté la santé de leurs altesses, et comme je répondis que je n’y manquais jamais : — Voilà sans doute, remarqua le prince, pourquoi je me porte si bien depuis mon arrivée en Angleterre. — Bien avant cela, répliquai-je, mes enfans portaient chaque jour la santé du « jeune brave de Hanovre. » C’est une périphrase par laquelle M. Congrève, dans une de ses ballades[1], a désigné votre altesse. — Et qui est, s’il vous plaît, ce M. Congrève ? m’a demandé le prince. — J’ai saisi l’occasion de vanter le mérite de cet écrivain distingué, gardant pour moi l’étonnement que m’avait causé une question si imprévue.

  1. A propos de la bataille d’Oudenarde, William Congrève avait rimé une chanson où se trouvent ces trois vers :
    Not so did behave
    Young Hanover brave,
    In this bloody field, I assure ye ; etc.
    Ce qui rend encore plus inexcusable l’étrange ignorance du prince royal.