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à la chapelle, et aussi quand il en sortait, il était en butte aux œillades de cette aventureuse demoiselle, embusquée au fond d’une voiture de louage avec sa confidente mistress Kirk. Ses conjectures se vérifièrent de point en point, car il trouva chez cette dernière lady Harriet armée de ses airs les plus vainqueurs, accoudée à une table sur laquelle brûlaient deux flambeaux de cire, et, sous prétexte d’un grand mal de tête, appuyant son beau front sur ses belles mains. Ce jour-là, ni elle, ni ses deux complices, présentes à la réunion, ne hasardèrent la moindre ouverture ; mais de nouvelles entrevues suivirent, et dans l’intervalle mistress Weedon et mistress Kirk n’épargnèrent pas leurs visites à mylord, essayant toujours de l’amener à épouser leur amie. Elles prétendaient que la reine lui avait promis une dot de cent mille livres sterling. Mylord répondit à cela fort modestement que, n’ayant pas de domaine assez considérable pour asseoir l’hypothèque d’un pareil apport, il n’oserait pas conclure un hymen aussi disproportionné ; puis, pressé de plus belle et mis au pied du mur, il avoua m’avoir promis de devenir mon mari, ajoutant qu’il regarderait comme un procédé cruel de fausser parole à une innocente jeune fille coupable seulement d’avoir aussi longtemps toléré ses assiduités. Sur ce point, elles ne se trouvèrent pas d’accord avec lui. Renonçant à m’épouser, prétendaient-elles, il ne ferait que me rendre le mauvais tour que j’avais joué à M. Floyd, dont je m’étais défaite sans le moindre scrupule dès que mylord avait paru s’occuper de moi. Fort heureusement pour moi, je n’avais rien celé de cette affaire à mon prétendu. Aussi put-il répondre à ces bienveillantes personnes qu’elles se trompaient du tout au tout sur la manière dont les choses s’étaient passées. Elles ne l’en tinrent pas quitte pour si peu, et alors, — feignant un jour d’être quelque peu ébranlé, — il amena mistress Kirk à confesser tous les stratagèmes dont elle avait usé pour l’amener à ce point, comme, par exemple, de rédiger les lettres déjà mentionnées, lettres écrites chez elle et qu’elle faisait simplement recopier et signer par lady Harriet Vere. Une fois nanti de ces édifians aveux, mylord saisit la première occasion de répondre à une fort tendre épître que lady H. Vere lui adressa (car elle jouait le rôle d’une personne violemment éprise) pour se retirer définitivement, et lui notifier son prochain mariage avec moi. — Je suis heureux, ajoutait-il, d’avoir trouvé une femme contre laquelle les pires ennemis qu’elle pût avoir, m’écrivant tous les jours afin de la noircir dans mon esprit, n’ont pu articuler aucun grief de quelque portée. Quant à son talent musical, il m’attache à elle plutôt qu’il ne m’en éloigne en me prouvant qu’elle a toujours préféré ses études solitaires à la compagnie des jeunes libertins dont on veut qu’elle ait courtisé l’attention et les hommages. — On pourrait croire qu’un