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2 février. — Ma maîtresse s’est hautement plainte de lord Halifax, et j’ai parlé à mylord pour qu’il engageât son collègue à se justifier. — Le duc de Buckingham, pour je ne sais quel motif, a résigné sa pension, et lord Strafford[1], vers le milieu du mois dernier, a dû, par ordre du roi, remettre tous ses papiers entre les mains de lord Townshend. Sa femme, qui se donnait pour être en voie de maternité, a jugé convenable de faire fausse couche lorsque la disgrâce du comte commençait à s’ébruiter. Il faut dire que c’était chose convenue d’avance. Sa belle-mère avait eu la bonté de m’en avertir sous le sceau du secret.

14 février. — La princesse m’a dit que lord Halifax l’était venu trouver et que ses explications l’avaient satisfaite. Pendant la réception du soir, la duchesse de Roxburgh a dit à la comtesse de Buckenburgh (de Piquebourg, comme l’appellent les Français) que la comédie à laquelle notre princesse doit assister demain est de celles qu’une femme de bon renom ne doit jamais voir. Il s’agit de la Wanton wife de Betterton. Je l’ai vue une fois, et c’est bien peu, car elle jouit d’une grande vogue, et les dames en particulier la redemandent fréquemment. J’en ai parlé dans de bons termes à la princesse, qui sous ma garantie a persisté dans son projet.

15 février. — Accompagné la princesse au théâtre ; elle n’a pas été autrement fâchée d’avoir suivi mon conseil, et la pièce l’a beaucoup amusée. Au fait et au prendre, elle n’est pas plus risquée que beaucoup d’autres comédies contemporaines. On peut, j’en conviens, souhaiter que notre scène s’amende sous ce rapport, et je n’en désespère point depuis que les théâtres sont placés sous le contrôle de M. Steele[2].

Retenue chez moi par l’état de ma santé pendant les journées suivantes, j’ai su qu’il y avait eu chez M. de Bernstorff une sorte de pacification entre les grands personnages du parti whig. À cette occasion, M. de Bernstorff s’est permis de dire au roi que « je me portais caution » pour lord Halifax. Bien heureux qui peut répondre de soi ; je m’en tiens là prudemment, et ne me charge que de mes propres fautes. Au surplus, ces divisions nous font beaucoup de mal : c’est un récif sur lequel notre barque a déjà sombré.

23 février. — Lady Saint-John et la marquise de Gouvernet[3]

  1. Il s’agit ici de Thomas Wentworth, petit-neveu du célèbre ministre. Il avait obtenu le titre de comte de Strafford en 1711, après avoir pris part aux négociations de la paix d’Utrecht. Il fut compris dans l’accusation portée contre Oxford et Bolingbroke.
  2. Sir Richard Steele avait été nommé, immédiatement après l’accession au trône de George Ier, surintendant des écuries et gouverneur des comédiens du roi, — fonctions étrangement accouplées.
  3. A la révocation de l’édit de Nantes, la marquise de Gouvernet obtint à grand’peine la permission de se retirer en Angleterre, où était établie une de ses filles. Le titre de marquis de Gouvernet appartient à l’ancienne famille de La Tour du Pin.