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retrouver son niveau que vers le sublime épilogue qui couronne le chef-d’œuvre. Pourtant ce second acte, même dramatiquement, a grand air. Les scènes s’y posent avec autorité, le pittoresque se dégage de partout. Ut pictura poesis ; tous les arts se tiennent, une belle chose en musique est belle aussi pour les yeux, Voyez le trio de Robert et ce trio de Guillaume Tell, quels tableaux ! On prétend que M. Armand Marrast aurait mis la main à cette partie du libretto. Rossini, médiocrement satisfait de la besogne de ses collaborateurs, se serait avisé de chercher mieux. L’idée de l’arrivée des trois cantons lui vint alors, comme plus tard devait venir à Meyerbeer l’idée du cloître fantastique de Robert le Diable. Le maître, se trouvant en villégiature à Petit-Bourg, communiqua son plan au futur président de la constituante, à cette époque simple précepteur des enfans de M. Aguado, et ce fut M. Armand Marrast qui se chargea ainsi de mettre en vers une situation que Rossini avait jugé à propos de mettre d’abord en poésie. Que l’anecdote soit vraie ou fausse, Pacte n’en existe pas moins dans sa gloire, et je me doute qu’une influence mystérieuse venue de Schiller aura passé là, comme le souffle de Shakspeare dans le troisième acte d’Otello.

Quand on y réfléchit, ce que ces deux génies littéraires ont déjà valu à la musique commence à compter. Schiller, pour sa part, aura bien fait les choses. Après Guillaume Tell, Marie Stuart de Niedermeyer, puis Don Carlos de Verdi, voici maintenant le tour de Jeanne d’Arc. M. Mermet à choisi pour héroïne de son nouvel ouvrage la pucelle de Vaucouleurs. C’est un poète à sa manière que l’auteur de Roland à Roncevaux. « Le musicien, disait Herder, fait œuvre de poète quand il compose, et le vrai poète œuvre de musicien quand il chante. » M. Mermet rime ses libretti, puis les chante. Apollon, qui, s’il faut en croire Jean-Paul, tient dans sa droite le don des vers, dans sa gauche le don des sons, et jamais ne les répartit qu’à des individus différens, le dieu de l’arc et du jour semble avoir entouré M. Mermet, comme M. Richard Wagner, d’une faveur toute spéciale. C’est toujours charmant d’être une exception. Si votre musique est conspuée, on renvoie la critique à vos rimes, et l’on répond aux gens en leur coûtant naïvement des légendes qui par le fait sont adorables, mais où votre inspiration et votre art personnel n’ont rien à voir, et que vous avez peut-être gâtées en les voulant traduire au théâtre. — M. Mermet travaille plus modestement, et d’ailleurs ses textes à lui sont français, chacun peut aller y regarder de près sans être obligé de croire sur parole les éplucheurs de palimpsestes ; Roland à Roncevaux est une pièce bien conçue, bien conduite, très simple et parfaitement appropriée aux vues que tout drame lyrique se propose : ouvrir large carrière à la suprématie du musicien. Le poète indique les personnages, les passions, désigne le site, le moment, trace les dialogues ; au compositeur de donner ensuite à tout cela vie et couleur, d’amener