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outrance, mais non diminuées, et tandis que les maîtres de la place, les ténors, restent absolument libres de régler leurs affaires au maximum, les simples choristes, les obscurs, se voient interdit un privilège de minimum. qui leur permettrait de s’entendre, de s’arranger avec les entreprises théâtrales. Et remarquez que la société, en agissant de la sorte, s’imagine encore protéger sa victime, car, prétend-elle, si je ne couvrais les petits de mon tout-puissant patronage, les directeurs seraient capables de leur offrir trois louis d’une pièce ! Eh bien ! après ? Si la pièce payée aujourd’hui trois louis réussit, l’auteur dans quelques mois dominera la situation à son tour, et ce ne sera certes pas trop pour lui d’avoir à ce prix acheté une occasion de notoriété et de fortune. Mettons que la pièce tombe, il changera de carrière, et la profession n’y perdra guère. Je ne vois pas en quoi c’est grandement-profitable à la gloire de la profession d’avoir à pensionner des confrères qui meurent de faim à l’ombre de son protectorat, et qui, moins protégés, se seraient peut-être tout seuls tirés d’affaire.

Allons au fond de la discussion du moment. Le directeur des Folies-Dramatiques ayant forfait aux statuts de la société, ordre de la commission à tous les auteurs d’avoir à retirer leurs pièces, ce qui naturellement doit amener la fermeture du théâtre. Là-dessus le directeur inculpé regimbe, et s’avise d’un argument qui n’est pas sans valeur. La loi de 93 reconnaît bien en effet à l’auteur son droit absolu, et déclare qu’on ne saurait se passer de son consentement écrit et formel, mais lorsqu’il y a contrat, lorsqu’un directeur a fait sur sa pièce une dépense de 100,000 francs, l’auteur conserve-t-il ce droit intégral, et ne se trouve-t-il pas au Contraire vis-à-vis du directeur dans le cas d’un propriétaire ayant loué sa maison pour un temps ? Cette question, la commission, toujours prête à lancer ses foudres, n’en avait d’abord point tenu compte, et c’est à la persuasive intervention de son conseil judiciaire que les esprits cultivés de notre temps, les Athéniens de Paris et de la province, devront de continuer à jouir indéfiniment du plus délicat, du plus littéraire et du plus musical des spectacles, car autrement l’affiche des Foliés Dramatiques eût été déchirée ab irato, et c’en était fait du Petit Faust !

Quoi qu’il en soit, les tribunaux s’en mêleront, et même il importe que le différend se termine par un bel et bon arrêt porté juridiquement sur un point qui veut être fixé. Après le procès, on verra, et si la société tient quelque peu à vivre avec son temps, elle se hâtera de modifier à son tour sa constitution, de rompre les entraves misés par ses