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ni dans la situation générale, telle qu’elle est aujourd’hui, ni même dans les intentions actuelles de ceux qui passent leur été à échanger des gourmades diplomatiques. De tout cela, il ne sortira rien ; mais enfin c’est une nouvelle et précieuse marque des sentimens d’inviolable amitié que ne cessent de se porter réciproquement l’Autriche et la Prusse depuis la guerre de 1866. Quoique M. de Bismarck, devenu pour un instant l’ermite de Varzin, s’abstienne d’intervenir directement dans ce duel, il se laisse assez entrevoir sous le masque de son alter ego, M. de Thile, qui parle pour lui, et de son côté M. de Beust n’emploie personne pour soutenir le dialogue. Des deux antagonistes, quel est celui qui s’entend le mieux à dire des choses désagréables ? Ils y réussissent en vérité l’un et l’autre à merveille. On ne peut se dire d’une façon plus significative que l’un des deux est de trop en Allemagne. M. de Bismarck ou son pseudonyme, M. de Thile, est raide, cassant, passablement ironique et hautain ; M. de Beust ne se laisse pas troubler, et enfonce tranquillement l’aiguillon dans le flanc de son adversaire. C’est curieux, intéressant et assez vain. Ce qu’il y a de singulier en effet, c’est qu’on ne sait pas trop de quoi il s’agit et qu’il n’y a pour le moment aucune raison saisissable, aucun incident particulier de nature à expliquer cette recrudescence subite d’humeur batailleuse. C’est une vraie querelle d’Allemands. Tout cela est venu, on le dirait, du terrible livre rouge autrichien, qui a toujours le don d’exaspérer M. de Bismarck, et des explications fournies par M. de Beust devant les délégations réunies à Vienne. Il n’en a pas fallu davantage pour mettre le feu aux poudres dans les deux chancelleries.

La vérité est qu’on ne s’entend point parce qu’on ne peut pas s’entendre, parce que dans les deux camps, malgré toutes les protestations pacifiques, on sent que rien n’est fini. La Prusse se plaint que l’Autriche s’occupe encore beaucoup trop des affaires de l’Allemagne, et elle revendique avec hauteur le monopôle de la diplomatie de la confédération du nord. M. de Beust s’étonne qu’on lui demande compte de ce qu’il peut dire devant une commission parlementaire. Une fois sur ce terrain, le défilé des griefs commence. Le traité de Prague n’est point exécuté, dit-on à Vienne, les pactes militaires noués par la Prusse avec les états du sud en sont la violation. — Cela ne regarde pas l’Autriche, dit-on à Berlin ; la Prusse entend mieux que personne le traité de Prague, elle sait ce que veut dire ce fameux article 4 dont on lui parle sans cesse, elle l’interprète à sa manière ; M. de Beust n’est qu’un brouillon qui tend la main à la France, à l’ennemi de l’Allemagne. De cette façon, on peut batailler longtemps, et c’est ce qu’on fait. A quoi cependant tout cela peut-il conduire ? Absolument à rien. On sait bien qu’en ce moment ces échauffourées de paroles ne peuvent être un préliminaire de guerre. Si pour de simples spectateurs comme nous il y a une moralité à tirer de tout ceci, c’est que M. de Beust est peut-être un peu prompt à ouvrir des campagnes diplomatiques qui ne sont pas