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(manque quelques mots) côtés une affection que ni le temps ni les oscillations de son caractère impatient n’avaient pu lasser. Son orgueil pouvait s’épanouir à l’aise. Justement parce qu’en Allemagne les femmes d’ordinaire sont modestes et effacées, celles qui sortent du commun, les « femmes géniales, » se croient d’une race à part et tranchent de la divinité. Le plus fâcheux, c’est qu’elles en imposent avec leurs airs olympiens et dupent les autres, comme elles se dupent elles-mêmes. « L’affection que l’on me témoigne me réjouit, mais n’est pas nécessaire à mon bonheur, disait Mme de Hahn ; si les autres me manquent, la perte est pour eux et non pour moi. » Elle atteignit ainsi l’année 1848. Les progrès chaque jour plus marqués de la démocratie la jetaient dans une irritation violente. Elle poussa ce sentiment jusqu’à brûler sa correspondance avec Bystram. « Les temps qui viennent, dit-elle, ne doivent rien savoir de nous, ils ne nous comprendraient pas. » Elle ne se doutait pas que le jour était proche où elle-même renierait ce passé. Elle se rendit à Berlin pour y voir sa fille, — pauvre être maladif né parmi les chagrins de son mariage et qui ne sortit jamais de la première enfance, — lorsqu’elle apprit tout à coup que son ami, resté à Dresde, se trouvait malade et en danger. Elle accourut. « Tu ne devais point me venir voir mourir, » lui dit-il en l’apercevant. Elle passa trois jours à son chevet, les soins furent inutiles ; elle ne put que fermer ses yeux et embellir sa tombe. Son nom est gravé sur la pierre avec ces simples mots : « je dors, mais mon cœur veille. »

Ce fut un désastre pour Mme de Hahn, et le désespoir qu’elle en éprouva parle plus en sa faveur que toutes ses tirades sentimentales. Sa douleur était vraie ; elle ne pensa point à la mettre en roman. Il lui parut promptement que les compensations du monde ne lui pouvaient suffire. Elle se tourna vers le ciel. Elle n’était point de celles qui s’y élancent d’un coup d’aile et s’y maintiennent sans soutien. Le christianisme robuste et simple de Luther ne parlait pas à son imagination, ambitieuse jusque dans la douleur. Il lui fallait de l’éclat dans ses consolations et de quoi nourrir l’exaltation nouvelle qui la possédait. Les cloîtres jouaient un grand rôle dans ses livres ; le fonds mystique et l’extérieur imposant du catholicisme l’avaient toujours attirée ; la hiérarchie antique de l’église romaine flattait ses instincts féodaux : elle pensa dès lors à se convertir, se mit à apprendre le latin, et commença de lire avec ardeur les Confessions de saint Augustin. Elle abjura enfin, et, comme retrempée par l’enthousiasme religieux, elle se lança dans une carrière nouvelle. Ici, je pense malgré moi au mot de Saint-Évremond quand il parle de ces âmes « qui se tournent à Dieu par esprit de changement et pour former en elles de nouveaux désirs. » Mme de Hahn, convertie,