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séparait. Jamais on n’a mieux vu que les nègres et les blancs sont enfans d’un même Dieu, que la nature n’a établi entre les uns et les autres aucune différence essentielle, que les facultés d’un nègre se développent et s’agrandissent aussitôt qu’on fait pénétrer le divin rayon du savoir au fond de cette âme systématiquement emprisonnée par une politique cruelle dans les limbes de l’ignorance.

J’étais heureux de pouvoir en recueillir les preuves, et je m’empressai, en arrivant à Washington, d’aller voir l’illustre organisateur du bureau d’affranchissement, le général Howard, et son digne collaborateur, M. Eliot. C’est à Washington que se sont, dès l’année 1861, établies les premières écoles pour les enfans affranchis. Il en existe de tous les degrés, et même le général fait construire de vastes édifices où il fonde pour eux un collège et une université. J’étais tout plein des souvenirs que j’avais recueillis dans les plus florissantes écoles de l’est, et il m’était facile de juger par moi-même des différences qui pourraient exister entre les aptitudes intellectuelles des enfans des deux races. Je n’en ai trouvé aucune ; tous les instituteurs et toutes les institutrices que j’ai pu consulter sur ce point sont du même avis. Un homme dont le nom s’est attaché de la manière la plus honorable à l’œuvre d’émancipation accomplie par le bureau des affranchis, M. Z. W. Alvord, surintendant des écoles des états du sud, établit ce fait de la manière la plus évidente dans les rapports annuels adressés par lui au major-général Howard. Dans une de ces écoles, qui réunit 400 élèves des deux sexes, j’ai suivi les exercices depuis la classe des enfans de cinq et six ans jusqu’à l’école supérieure, où les élèves étudiant les sciences, l’histoire et la littérature. L’emploi des mêmes méthodes a produit partout des résultats aussi satisfaisans. Les jeunes négresses surtout semblaient comprendre à demi-mot les explications données par le maître ; quelques-unes s’exprimaient avec une facilité étonnante. Les opérations d’arithmétique et d’algèbre se faisaient avec une exactitude et une précision remarquables. L’institutrice fit lire les compositions du jour. Une jeune fille de quatorze ans récita la sienne. Elle avait pour objet la signification symbolique des fleurs. Une autre lut un récit assez plaisant, celui d’une de ces petites parties de campagne dans lesquelles les voisins et les parens se réunissent pour un pique-nique, et l’on peut dire qu’il n’y a pas un pensionnat de France où les jeunes filles mettent dans leur manière de lire autant d’expression et de charme. On néglige chez nous de leur donner ce talent, objet d’une scrupuleuse attention dans les écoles des États-Unis. Une surprise plus grande encore était réservée aux personnes qui assistaient avec moi à la classe. Un jeune garçon de seize à dix-sept ans fut appelé au bureau du professeur pour