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Des officiers de la ville ont trouvé jusqu’à vingt mille personnes ainsi couchées pêle-mêle dans des souterrains. On se demande comment elles n’étaient point suffoquées par le mauvais air. Le lendemain, chacun secoue son ivresse de la veille et se rend dès l’aube aux travaux des champs. L’expérience démontre pourtant que ces accumulations de misères ont propagé le germe de certaines maladies contagieuses.

Le Dr Trench, chargé du service médical de Liverpool et sommé par le conseil de poursuivre une sorte d’enquête sur cette question, a fait de curieuses études sur les causes de la mortalité dans les grandes villes. Grâce aux recherches des savans, on ne croit plus que le nombre des décès soit déterminé par le hasard ou par les absolus décrets de la Providence. La longueur et la brièveté de la vie dépendent de circonstances extérieures ; ce sont des faits naturels soumis à des lois. Quelques degrés d’élévation ou d’abaissement du thermomètre, la direction du vent qui souffle, la pureté ou l’impureté de l’air, le plus ou moins d’espace accordé aux habitans de chaque maison, la nature et la quantité des alimens, toutes ces circonstances influent, on n’en peut douter, sur la santé publique. La science est à même d’évaluer avec précision le nombre des victimes sacrifiées dans chaque ville par la violation de certaines règles hygiéniques[1]. Au sombre cortège des maladies qui partout éclaircissent les rangs de la population, il faut ajouter à Liverpool un fléau mystérieux, — le typhus ; mais les fléaux eux-mêmes rentrent dans le cercle des observations accessibles à l’intelligence humaine. Si l’on ne sait pas toujours d’où ils viennent, on peut du moins découvrir les causes sous l’empire desquelles ils se développent. L’été de 1861 avait été pour Liverpool une saison de détresse ; le blocus des états du sud d’Amérique et la disette du coton qui en fut la conséquence venaient de jeter sur le pavé un grand nombre de portefaix : c’est quelques mois après qu’éclata l’épidémie. La condition sociale et la manière de vivre ne sont certainement point étrangères à la nature de nos maladies[2]. Depuis 1862, le typhus

  1. « En Angleterre, dit le docteur Trench, la mortalité est de 22,2 pour 1,000 habitans et dans les grandes villes de 24,1. A Liverpool, elle est de 36,4 à 29,6, de sorte que, si Liverpool était placé dans des conditions de salubrité égales à celles de l’Angleterre, il y aurait eu l’année dernière (1867) une économie de 6,737 vies d’homme, et si cette même ville était seulement aussi saine que Londres, une économie de 5,740 existences. »
  2. Les médecins anglais font une très grande différence entre la fièvre typhoïde et le typhus ; l’une est la maladie du riche, l’autre est le fléau du pauvre. La première éclate surtout dans les mois les plus chauds de l’été et attaque les personnes bien nourries (well fed), le second au contraire sévit, par les temps froids et choisit ses victimes parmi les personnes dont l’organisation a été affaiblie faute d’une alimentation suffisante.