longtemps. Les documens officiels abondent, et prouvent que ces erreurs volontaires rentraient dans un système préconçu. Un état du 4 août 1674 démontre que, sur 103 forçats libérés parce qu’ils sont invalides, 22 « avaient servi de quinze à vingt ans au-delà de leur condamnation[1]. » En cela, Colbert suivait une tradition léguée par les rois de France. Henri IV lui-même, le roi « de la poule au pot, » par lettres patentes du 6 juin 1606, recommandait de garder les forçats pendant six ans, « nonobstant que les arrests fussent prononcés pour moins de temps. »
Telle était donc la façon dont la vieille monarchie française envisageait ce qu’il y a de plus sacré au monde, la liberté humaine[2]. L’homme une fois arrêté, — criminel ou non, — devenait une sorte de bétail, moins que cela, une chose qu’on jetait dans un trou, pêle-mêle avec des misérables, des fous furieux, de la vermine et des immondices. Ces cachots, ces géhennes, ces in-pace, étaient des caves sans air et sans jour ; des gens s’évanouirent en y pénétrant ; d’autres y moururent et s’y décomposèrent, ajoutant pour les survivans l’horreur du sépulcre à l’horreur de la prison. — Comme nourriture, le pain noir et l’eau ; comme traitement, le fouet. A Saint-Lazare, à l’hôpital général (Salpêtrière), à Bicêtre, on fouettait : qui ? les condamnés ? Non pas, mais les prévenus et même les malades. Beaumarchais s’est toujours défendu d’avoir été soumis à ce traitement ignominieux, et cependant rien ne prouve qu’il ait pu se soustraire à une règle générale. Pour lit, on avait de la paille qui promptement devenait du fumier ; des arrêts de règlement du 10 décembre 1665, du 15 janvier 1685, du 18 juin 1704, du 1er septembre 1717, disent que « les geôliers sont tenus de donner de la paille fraîche tous les mois pour les cachots clairs, tous les quinze jours pour les cachots noirs. » Dans son Histoire du Châtelet de Paris M. Ch. Desmaze, conseiller à la cour impériale, cite une description du For-l’Évêque trouvée par lui dans un « projet concernant l’établissement de nouvelles prisons dans la capitale, » manuscrit rédigé par un magistrat du xvii(e siècle. Le tableau est peint sur le vif. « La cour ou préau n’a que trente pieds de long sur dix-huit de large, et c’est dans cet espace qu’on enferme quelquefois quatre et cinq cents prisonniers… Les cellules qui sont sous les marches de l’escalier ont six pieds carrés ; on y place cinq prisonniers… Les cachots sont au niveau de la rivière, la seule épaisseur des murs les garantit de l’inondation, et toute l’année l’eau filtre à travers les murs. Là sont pratiqués des réceptacles de cinq pieds de large sur six pieds de long dans lesquels on ne peut entrer qu’en