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ministre de ses importunités et de ses plaintes ; son langage se ressent de la phraséologie du temps ; il parle des âmes sensibles, du vertueux monarque, de l’empire des lois, à qui nul ne peut être soustrait. Toujours et sans cesse, pour unique faveur, il demande des juges. On était las de ses suppliques, on voulait l’empêcher d’en faire de nouvelles, et on lui retira toute espèce de papier. Alors ce qu’on voit est lamentable, et il y a trois lettres qu’il est difficile de regarder sans émotion. La première est écrite en très gros caractère sur une carte géographique représentant le tableau des postes de France en 1780 ; la seconde est tracée sur un mouchoir de toile. « Monsieur, n’ayant point de papier, je suis forcé de vous écrire sur du linge. » La troisième, rongée par les vers, qui l’ont trouée comme un crible, se déroule sur une sorte de pâte, moitié plâtre et moitié carton, appliquée sur une cravate de batiste, soutenue par des bandelettes de toile grossière empruntée à quelque torchon oublié dans le cabanon. Elle est sinistre d’aspect, et, pour être ainsi confectionnée, a dû exiger des efforts considérables. De ces pauvres chiffons qui, sans résultat, ont passé sur le bureau du lieutenant de police et des ministres, on dirait qu’il sort une voix pleine de lugubres prédictions. On avait beau murer les fenêtres et doubler les sentinelles, les cris de la prison commençaient à s’entendre au dehors. Ceux que poussait Mirabeau perçaient les pierres des donjons. Michelet les a cités ; qui ne se les rappelle ? « Mon père, je suis tout nu ! mon père, je suis aveugle ; déjà je ne vois plus qu’à travers des points noirs ! » L’emblème par excellence de la royauté française était une prison, la Bastille. Elle écroulée, tout s’écroula.


I

Jusqu’en 1789, il existait en France trois sortes de prisons : les prisons royales, les prisons seigneuriales, les prisons de l’officialité (appartenant aux évêques) ; elles étaient régies par les ordonnances caduques de Charles VI, de François Ier, et par l’ordonnance plus prévoyante de 1670. Malgré les traitemens qu’on y éprouvait, elles n’étaient que l’antichambre de la justice, des galères ou de l’échafaud. Sous l’ancien régime, l’emprisonnement ne constituait pas une pénalité, il n’avait d’autre but que de s’assurer de la personne même de l’inculpé. Ce fut l’assemblée législative qui, en 1791, considéra la privation de la liberté comme une punition dont la durée devait être graduée selon l’importance du crime ou du délit. Les prisons furent alors divisées en quatre catégories distinctes, qui répondaient d’une façon à peu près suffisante aux besoins de la justice ; c’étaient : 1° les maisons d’arrêt ; 2° les prisons pénales criminelles, dans lesquelles il faut comprendre les bagnes, les maisons