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II

Il est de bonne administration en justice de séparer les condamnés et les prévenus ; aussi ces derniers sont-ils enfermés à la prison de Mazas, qui en langage technique s’appelle la maison de prévention. Il n’existe peut-être pas au monde un édifice dont l’aspect soit plus lugubre. Il étale près de la gare du chemin de fer de Lyon ses hautes murailles de pierres meulières liées au ciment romain, et contraste par son apparence terne et son silence avec l’animation et le mouvement qui le côtoient jour et nuit. Terminée à la fin de 1849, bâtie sur le plan nouveau adopté pour le régime cellulaire, couvrant une superficie de plus de 3 hectares et ayant coûté environ 5 millions, cette prison fut inaugurée dans la nuit du 19 au 20 mai 1850, et reçut les 700 détenus qui évacuaient la Grande-Force, qu’on allait démolir pour cause de vieillesse et d’insalubrité. Avant d’y conduire les détenus, on avait eu soin d’expérimenter à la fois la nouvelle construction et le nouveau régime ; un certain nombre d’indigens empruntés au dépôt de Saint-Denis et à celui de Villers-Cotterets avaient été enfermés dans les cellules. Leur séjour et les conditions exceptionnelles auxquelles ils furent soumis ne donnèrent lieu à aucune observation défavorable. D’une part la maison était saine, de l’autre l’isolement, que des philanthropes malavisés combattaient avec acharnement et déclaraient cruel au premier chef, apportait à la discipline générale et à la moralisation du détenu d’importantes modifications. Mazas devint une sorte de prison modèle, et servit de but à des études et à des controverses qui n’ont pas encore pris fin.

La prison proprement dite est contenue dans une vaste enceinte formée par deux murailles parallèles entre lesquelles circule un chemin de ronde gardé nuit et jour par des sentinelles empruntées à un poste de soldats placé à l’entrée même de la maison. Lorsqu’on a franchi la grille qui s’ouvre sur le boulevard Mazas, on pénètre dans une large cour où de magnifiques lierres dissimulent la tristesse des murs. Deux marches donnent accès dans un corps de logis contenant le cabinet du directeur, le greffe et la salle d’attente où les prévenus sont enfermés avant de subir les formalités de l’écrou. A peu près pareille à la souricière du Palais de Justice, cette pièce ressemble au corridor d’un établissement de bains. Chaque individu est placé dans une cellule particulière, cellule sévèrement isolée et dont la construction est excessivement défectueuse. En effet, le premier principe qui doit présider à la construction d’une prison est d’éloigner du prisonnier toute possibilité de suicide. Or, si l’on