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passe dans la galerie et dans le guichet central. Un fort verrou rond oblitérant deux gâches, glissant dans une serrure manœuvrée à l’aide d’un passe-partout en acier trempé, suffit amplement à déjouer toute tentative d’effraction. Le détenu peut se mettre facilement en communication avec les gardiens. Il n’a qu’à tirer un cordon pour faire choir un bras de fer retentissant qui en s’abattant à côté de la porte et en restant visible indique dans quelle cellule on a appelé. Chacune des galeries forme une division ; la sixième est consacrée à l’infirmerie, qui contient quelques cellules doubles et les cellules de bains. C’est dans ce quartier qu’on enferme les malfaiteurs dangereux, ceux que la justice recommande spécialement à la surveillance de l’administration : assassins, meurtriers, voleurs à main armée. Ceux-là, on ne les laisse jamais seuls, d’abord parce qu’il est utile de les suivre de près pour éviter le suicide, ensuite parce qu’on leur donne pour compagnons des détenus choisis avec soin et qui tiennent bonne note de leurs confidences. En général, les infirmeries ne sont pas très peuplées ; l’extrême régularité de la vie, les habitudes monacales, rendent les maladies assez rares : aussi le médecin, qui fait régulièrement sa tournée tous les matins, n’a-t-il le plus souvent à constater que des affections apportées du dehors, affections presque toujours dues à l’inconduite de ceux qui en sont atteints. Les deux maladies les plus fréquentes sont la gale et l’épilepsie, toutes deux produites directement par les privations et la saleté. Il faut bien le reconnaître, la misère physique de ceux qui entrent en prison est égale, sinon supérieure, à leur misère morale et intellectuelle.

Soixante-deux surveillans obéissant à sept sous-brigadiers placés sous l’autorité d’un brigadier font, jour et nuit, autour des prisonniers un service fatigant, car il ne laisse pas une minute de repos à ceux qui en sont chargés. Vêtu de la tunique bleue au collet de laquelle brille une étoile d’argent et dont les boutons portent au centre un œil ouvert entouré des mots : prisons de la Seine, le surveillant va et vient sans cesse d’un bout à l’autre de la galerie confiée à sa garde ; il regarde par le judas des cellules, il s’arrête, s’il entend un bruit anormal ; il voit tout et n’est pas vu ; tournant machinalement entre ses doigts la lourde clé qui ouvre toutes les portes, il glisse plutôt qu’il ne marche, et la nuit il ne peut porter que des chaussons de lisière afin que ses pas ne puissent troubler le sommeil des détenus. C’est en général un ancien militaire, façonné aux habitudes de la discipline forcée et connaissant toutes les sévérités de la consigne. A le voir, on dirait qu’il participe de la prison même ; il est muet comme elle, il ne rit pas ; s’il parle, c’est à voix basse. C’est du reste une impression presque inévitable qui vous saisit