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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/638

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détenu ait travaillé sans désemparer 365 jours de suite, au bout d’une année de prison il sortira avec 42 francs 50 centimes, qui doivent lui suffire pour se loger et se nourrir en attendant qu’il ait trouvé de l’occupation. Rejeter un homme sur le pavé dans de telles conditions, c’est l’exposer aux dangereuses sollicitations de la misère et du vol. Les frais d’entretien, qui sont aujourd’hui à la charge des entrepreneurs, devraient passer à celle de l’état ; le prisonnier serait légitimement propriétaire de tout son gain, ce qui lui montrerait les bienfaits du travail, et sa masse capitalisée serait augmentée d’un intérêt normal, ce qui lui enseignerait les avantages de l’épargne. On prétend, je le sais, que l’ouvrier doit payer son apprentissage. En liberté, oui ; en captivité, non, puisque le travail est obligatoire. Si l’humanité seule ne le commande pas, le plus simple intérêt de sécurité l’exige ; la société doit mettre en état de vivre celui qui sort de prison, afin d’éviter qu’il ne se tourne de nouveau contre elle. Le système actuel peut suffire à toutes les exigences, il ne s’agit que de le modifier dans un sens plus large et qui permette au détenu de se créer par son labeur des ressources moins illusoires.

Les résultats moraux produits par le séjour dans les prisons ne sont point difficiles à constater. A Paris, en 1868,15,861 individus ont été jugés par la police correctionnelle ; sur ce nombre, il y en avait 9,540, plus de moitié, qui avaient été précédemment condamnés. Dans la même année, sur 637 accusés qui ont comparu en cour d’assises, 289 étaient des repris de justice. Ces nombreuses récidives prouvent que la répression seule est impuissante, qu’il faut répudier la vieille loi judaïque du talion, que, s’il est juste de punir, il est indispensable d’amender, et que, pour atteindre ce but offert à toute nation civilisée, la prison doit devenir un hôpital moral. En présence de l’état de choses actuel, si douloureux et qui porte avec lui des enseignemens qu’il faudrait écouter, on doit regretter que la circulaire ministérielle du 7 août 1853 ait fait abandonner le système cellulaire, qui seul cependant permet d’agir sérieusement sur l’âme du prévenu. On a prétendu que ce régime rendait fou, qu’il poussait invinciblement au suicide ; tout cela est exagéré. M. Berriat Saint-Prix[1] a démontré que la proportion des suicides dans la population libre de Paris est de 1 sur 1,512 habitans, et qu’à Mazas elle était de 1 sur 1,371 détenus. S’il est constaté que le régime en commun donne le plus grand nombre de récidives et blesse la moralité d’une façon outrageante, ne peut-on pas en conclure que le système cellulaire, s’il n’est point parfait, lui est du moins supérieur ? Dans les prisons de la Seine, où les détenus ne peuvent réglementairement rester plus d’une année, l’isolement

  1. Masas, étude sur l’emprisonnement individuel, par M. Ch, Berriat Saint-Prix, 1860.