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espèces venaient d’être créées au moment où l’on commence à les observer ; tout au plus peut-on conclure qu’elles étaient jusqu’alors trop rares, ou situées trop à l’écart du point où on les rencontre, pour avoir eu l’occasion d’y laisser des traces. Or, entre la première de ces deux manières de juger et la seconde, il existe un abîme ; en voici la preuve. Si au lieu d’un mollusque marin ou d’un rayonné il s’agissait d’un animal supérieur ou d’une plante terrestre dont le hasard seul peut entraîner la dépouille au fond des eaux, on se garderait bien de considérer comme nouvellement créée l’espèce inconnue dont on trouverait l’empreinte ; pourtant le phénomène est identique des deux côtés, puisque les couches marines, même les plus riches en fossiles, ne nous font jamais connaître qu’une faible partie des régions sous-marines de chaque période. Combien de lits et d’étages dont les fossiles sont absens ou réduits à l’état de débris informes ! Les ceintures littorales, les fonds sableux ou rocailleux, n’ont-ils pas disparu généralement sans laisser de vestiges ? Et combien de terrains recouverts sur une grande étendue par des formations plus récentes et soustraits à nos recherches ! Évidemment ce n’est pas une série de faits de cette nature qu’on devra invoquer à l’appui de la théorie qui veut que chaque forme spécifique ait apparu subitement.

Les traces de filiation, les liens tantôt directs, tantôt éloignés entre les diverses parties du monde organique, existent, de l’aveu de tous les naturalistes. M. F.-J. Pictet, opposé pourtant aux idées de transformation, avoue que, si l’on compare entre elles les faunes de chaque étage à celles de l’étage immédiatement postérieur, on reste frappé des liaisons intimes qui se manifestent, la plupart des genres étant les mêmes et un grand nombre d’espèces se trouvant tellement voisines qu’il serait aisé de les confondre[1]. Tous les auteurs, à partir de Cuvier et ensuite de Flourens, admettent que la manière dont les êtres se sont succédé et les rapports qu’ils présentent entre eux, lorsque l’on en compare la structure intime, indiquent l’existence d’un plan dont les déviations les plus profondes en apparence n’altèrent cependant jamais les traits essentiels. Ainsi les lacunes, les anomalies, les transformations apparentes, les appropriations les mieux définies, comme celle des mammifères cétacés à l’habitat marin, s’opèrent au moyen du raccourcissement ou de l’allongement, de la disparition ou de la multiplication de certaines parties, sans que ces modifications entraînent jamais le déplacement relatif des organes eux-mêmes. Les parties constitutives

  1. Traité de Paléontologie ou Histoire naturelle des animaux fossiles considérés dans leurs rapports zoologiques et géologiques, par M. F. J. Pictet, t. Ier, p. 88.