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elle-même. Il faut donc, pour avoir une idée complète des progrès récens accomplis par l’école de l’évolution, exposer ses idées sur la culture et la domesticité, et clore cette étude par une analyse de toutes les notions que résume et condense celle de l’hérédité.


II

Les êtres vivans, loin d’être représentés, comme les fossiles, par des débris informes laissant entre eux d’énormes lacunes, constituent un ensemble harmonieux où rien ne saurait échapper à la sagacité de l’observateur attentif, ni les mœurs, ni les instincts, ni les particularités d’organisation et de structure. C’est à cette considération qu’a obéi M. Darwin lorsqu’il s’est attaché à faire sortir de l’investigation raisonnée de la nature présente les lois qui ont dû gouverner le monde depuis l’apparition de la vie. De cette pensée est né son livre sur l’Origine des espèces, où l’auteur accumule tant de preuves en faveur de ce principe, que l’action modificatrice de l’homme sur les animaux et sur les plantes n’est qu’une imitation raisonnée des procédés inconsciens de la nature. Cette idée, il a cherché à la développer d’une manière toute spéciale en étudiant dans son dernier ouvrage les effets de la domesticité. Il a voulu montrer comment les êtres sauvages, une fois soumis à l’action de l’homme, se sont comportés. La question abordée par M. Darwin compte parmi les plus curieuses. Elle est et sera longtemps un champ de controverse ouvert aux naturalistes et aux philosophes ; elle se lie à l’étude des premiers pas de l’homme enfant dans la voie du progrès.

Nul doute qu’avant de soumettre les animaux à la domesticité et de cultiver les plantes, l’homme n’ait traversé un état transitoire et imparfait durant lequel il essayait son influence sans en soupçonner encore toute l’étendue. Les Lapons en sont encore là, leurs troupeaux de rennes sont toujours à demi sauvages, ils les surveillent et les parquent en employant l’adresse ou la force, mais sans jamais en être les maîtres paisibles. Ni les femelles, lorsqu’il s’agit de les traire, ni les jeunes, lorsqu’on veut s’en emparer pour les abattre, ne se laissent approcher sans résistance, et les mâles étrangers se mêlent librement aux troupeaux domestiques dont ils contribuent à maintenir et à améliorer la race. Les premiers hommes, exclusivement chasseurs, ont dû voir d’innombrables herbivores parcourir le fond des vallées. La terreur qu’inspire aux animaux sauvages la présence de l’homme n’a pas dû toujours exister ; dans les régions où il aborde pour la première fois, dans celles même ou il se montre rarement, des troupes familières l’entourent, le pressent et se laissent toucher sans défiance ; l’instinct qui pousse les animaux à fuir devant