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degrés divers et successifs, depuis la fécondité partielle jusqu’à la fertilité constante et indéfinie perpétuée à l’aide de nouveaux croisemens avec l’une des deux formes parentes. Deux espèces voisines en apparence donnent lieu à des produits viciés, tandis que l’on voit d’autres hybrides provenant d’espèces bien plus éloignées présenter des produits féconds, au moins partiellement. Souvent les hybrides retournent après quelques générations à l’une des souches-mères, et cela n’a rien de surprenant. C’est là un phénomène d’atavisme pareil à ceux dont les croisemens offrent tant d’exemples. Si les espèces sont presque toujours stériles entre elles, si les hybrides qu’elles produisent accidentellement le sont au moins partiellement, il ne s’ensuit pas qu’une différence originelle s’élève comme un mur infranchissable pour les séparer. La fécondité mutuelle est sans doute le résultat d’une convenance organique, et les espèces lentement formées n’ont dû acquérir qu’à la longue les caractères qui les distinguent.

La cause du phénomène nous paraît être toute physiologique ; livrés à eux-mêmes, les animaux se croisent tant que la diversité qui les attire est pour eux un stimulant, ils s’éloignent dès qu’elle devient un obstacle ou une source de répugnance. Le point où cesse l’attrait et où commence la barrière est certainement indécis et doit être souvent franchi accidentellement avant de devenir définitif. Ce ne sont jamais d’ailleurs deux êtres parfaitement semblables qui s’unissent ; même dans les unions consanguines, ce sont deux individus dont les différences, bien qu’accessoires, sont réelles et souvent très frappantes. Le produit réunit en lui les deux ressemblances, mais à un degré nécessairement inégal, puisque, en fait de caractères, il ne possède jamais que ceux du sexe qui lui a été départi. Il devrait donc par ce côté au moins tenir exclusivement du père ou de la mère, et par conséquent les produits mâles d’un coq, d’un cheval de course, d’un taureau, auraient seuls l’énergie, la rapidité, le courage qui distinguent les mâles de ces races d’animaux. Cependant, l’expérience le prouve, pour obtenir ces qualités, on a recours également aux deux sexes. Ce fait, si naturel qu’il n’a pas besoin de preuves, constitue pourtant un phénomène de la plus haute valeur, que M. Darwin a soin de mettre en lumière. Il y voit la démonstration de ce qu’il nomme des caractères latens, c’est-à-dire dont l’existence demeure cachée chez celui qui les a, et qui sont pourtant susceptibles, dans cet état, d’être transmis à sa descendance, même éloignée. Les caractères distinguant le mâle et la femelle, — qui dans certaines espèces se ressemblent fort peu, — attendent toujours pour paraître l’âge de la puberté, c’est-à-dire qu’ils restent à l’état dormant durant une partie de la vie ; il est singulier d’observer qu’ils sont quelquefois susceptibles de se montrer chez des individus d’un