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l’archipel malais, signalée pour la première fois par M. Windsor Earl, fut pour beaucoup dans les motifs qui déterminèrent M. Wallace à y faire un séjour de huit ans. De 1854 à 1862, le célèbre naturaliste a parcouru ces îles en tout sens ; il en a étudié le sol, les plantes, les animaux et les habitans[1]. Les splendides collections qu’il a rapportées en Angleterre renferment 125,660 objets : mammifères 310 spécimens, reptiles 100, coquillages 7,500, oiseaux 8,050, papillons 13,100, coléoptères 83,200, insectes divers 13,400. Ces nombres donnent une idée du profit que la science peut attendre d’une expédition même entreprise avec des moyens restreints. Quelques-uns des résultats auxquels M. Wallace s’est vu conduit par ces recherches ont été déjà publiés par lui dans les recueils scientifiques anglais ; le récit détaillé de son voyage se trouve consigné dans deux volumes fort attachans qui viennent de paraître, et auxquels nous ferons ici quelques emprunts. Disons tout de suite que les faits constatés par l’éminent naturaliste anglais établissent avec certitude la division de l’archipel malais en deux régions d’origine différente. Il croit même avoir retrouvé dans la distribution des races humaines la confirmation de ce grand fait géologique ; pour lui, toute cette population bigarrée descend de deux races primitives, celle des Malais et celle des Papous de la Nouvelle-Guinée. Leur ligne de démarcation ne coïncide pas avec celle des faunes et des flores, elle court plus à l’est. C’est que la race malaise, la plus vigoureuse et la plus intelligente des deux, a franchi ses limites naturelles et empiété sur le territoire de la race rivale.


I

Un des lieux les plus intéressans qu’un voyageur venu d’Europe puisse visiter dans ces parages est la ville de Singapour, bâtie sur un îlot qui fait face à l’extrémité sud de la presqu’île de Malacca. Il est difficile de rencontrer un mélange plus curieux de races, de religions, de mœurs et de langues. Le gouverneur, la garnison, les principaux marchands, sont des Anglais ; mais le gros de la population est formé par les Chinois, qui se livrent au commerce, aux métiers et à la culture des champs. Les Malais sont ici pêcheurs et marins, c’est aussi parmi eux que se recrute la police. Les palefreniers et les blanchisseurs sont généralement des Bengalais ; parmi les petits commerçans, il se rencontre encore bon nombre de Portugais, de Klings venus de l’Inde, d’Arabes, de Parsis, sans compter les Javanais et les indigènes des autres îles de l’archipel qui se

  1. Dans un voyage antérieur, M. Wallace avait déjà exploré les contrées de l’Amazone et du Rio-Negro. Il a consacré une monographie aux palmiers de cette région de l’Amérique.