Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/697

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

répliquait un des Malais, il en est de l’oiseau comme de l’homme : il meurt quand son heure est venue, et, si elle n’est pas venue, vous ne pouvez pas le tuer. » Un murmure approbateur accueillait cette profession de foi, et Manuel en profitait pour raconter une longue histoire de chasse malheureuse où l’on avait poursuivi un oiseau toute une journée sans pouvoir- jamais l’atteindre. « C’est clair, disait alors un vieux Malais, son heure n’était pas venue, c’est pour cela que vous n’avez pas pu le tuer. »

Une croyance très répandue à Lombok, c’est que certains individus peuvent se changer en crocodile, afin de dévorer leurs ennemis, et les indigènes racontent d’étranges histoires à ce sujet. Voici encore une conversation de ce genre, que M. Wallace rapporte « comme une précieuse contribution à l’histoire naturelle du pays. » Un Malais de Bornéo, qui résidait à Lombok déjà depuis quelques années, causait avec l’empailleur. « Il y a une chose étrange ici, dit-il tout à coup, c’est la rareté des revenans. — Comment cela ? dit Manuel. — Mais oui ; vous savez bien que dans notre pays, lorsqu’un homme a été assassiné, nous n’osons passer la nuit près de l’endroit où il est mort à cause des bruits qu’y font les esprits. Ici au contraire, beaucoup de cadavres restent sans sépulture le long des routes, et néanmoins l’on peut y passer sans rien entendre ni rien voir. Chez nous, vous savez bien qu’il n’en est pas ainsi. — Certainement, dit Manuel, certainement ! » Il est donc bien constaté qu’à Lombok les esprits font défaut.

Un soir, M. Wallace entendit ses gens causer à voix basse devant la porte avec un Malais ; il comprit vaguement qu’il était question de kriss, de gorges coupées, de têtes tranchées ou à trancher. Bientôt en effet Manuel entra, et lui confia que le rajah de l’île avait envoyé au village un ordre d’avoir à livrer un certain nombre de têtes pour être offertes dans un temple comme gage d’une bonne récolte. M. Wallace se mit à rire, car il était à peu près certain qu’il n’y avait pas un mot de vrai dans cette histoire ; mais les deux domestiques n’osèrent plus faire un pas en dehors de la maison sans emporter des carabines et de longues piques. Un matelot américain qui avait abandonné son navire arriva peu après : il avait fait la route à pied depuis la côte et avait été partout reçu de la manière la plus cordiale, ce qui prouvait victorieusement que le pays était sûr ; mais Manuel ne se rendit pas, il prétendit qu’on ne pouvait pas ajouter foi aux paroles d’un déserteur. Quelque temps après, le rajah vint d’ailleurs assister à une fête qui se donnait dans la baie d’Ampanam, et M. Wallace fit sa connaissance. C’est le père du rajah actuel qui a conquis cette île et y a introduit des lois draconiennes. Le vol est puni de mort. Un homme qui s’introduit dans une maison après la tombée de la nuit peut être tué par le