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suffit-il de stipuler des garanties en faveur des classes rurales, qui n’ont pas encore le développement nécessaire pour défendre leurs droits ? A défaut de ces précautions si difficiles à mettre en œuvre, les Russes ne se donneront-ils pas la mission de défendre ceux qu’ils nomment complaisamment leurs compatriotes de l’autre côté de la frontière ? Quand on pèse toutes ces difficultés, on comprend que le ministère cisleithanien hésite avant de prendre une résolution et de faire des concessions dont les conséquences pourraient être si graves. C’est évidemment aux Polonais de montrer d’abord qu’ils sont capables d’user de l’indépendance qu’ils réclament d’une façon qui ne devienne pas funeste à eux et aux autres.

La première chose qu’ils ont à faire, c’est de modifier le programme de 1868 de façon à le rendre acceptable. Tel que les résolutionistes veulent le maintenir, il ne l’est pas. Refuser au parlement central tout droit de légiférer sur les institutions de crédit, l’industrie, les écoles, sur les relations des différens pays autrichiens entre eux, sur l’exécution même des lois fondamentales, c’est demander, non une constitution fédérale, mais la séparation, l’union personnelle, comme la Hongrie. Or, si l’Autriche ne peut plus même former une fédération comme les États-Unis, si elle doit être réduite à une agglomération sans nom d’états séparés n’ayant en commun que l’empereur, l’armée et la dette, sa dissolution est inévitable. Supposez maintenant l’Autriche morcelée et partagée, comme l’a été la Pologne, quelle chance d’avenir resterait-il aux Polonais ? Aucun : leur intérêt évident est donc que l’Autriche, dernier asile de leur nationalité, subsiste, et, pour qu’elle continue à subsister, il faut en faire un état fédéral sans doute, mais dont les diverses parties soient réunies par un lien plus serré que celui qui existe en Suisse, en Amérique même, parce que la situation de l’Autriche est beaucoup plus menacée.

Au lieu d’une politique inspirée par des idées aristocratiques, exclusives et ultramontaines, les Polonais doivent aussi adopter une politique libérale, démocratique, égalitaire, équitable envers les autres races et surtout envers les Ruthènes. Ils confondent trop la cause de la nationalité et celle du catholicisme ultramontain. Ils sont encore semblables, pour la plupart, à ces confédérés de Bar, qui, portant une Vierge sur la poitrine, prenant pour mot d’ordre patrie et religion, proscrivaient la liberté de conscience, que Catherine II se donnait la facile gloire de défendre aux applaudissemens de Voltaire et des philosophes français. Comment veulent-ils, s’ils prennent Rome pour guide, rallier à eux les Ruthènes du rite oriental, dont on a soin d’entretenir les susceptibilités et les appréhensions religieuses ? Au Reichsrath, les députés de la Galicie ont