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Polonais, Ruthènes, encouragé au lieu d’être comprimé, arrive au plein développement de ses aptitudes naturelles, qu’eu un mot les Slaves en Autriche se sentent aussi heureux que les Allemands ou les Italiens en Suisse, — dès ce moment la situation politique change complètement dans toute l’Europe orientale. La Russie n’est plus à craindre, car l’arme si puissante du panslavisme est brisée entre ses mains. L’idéal n’est plus la grande Slavie, puissance militaire commandée par un despote, c’est l’établissement d’une puissante fédération libre dont l’Autriche deviendrait le foyer. Entre la Russie sombre, muette, bâillonnée par la censure, ruinée par ses armées permanentes, écrasée sous le despotisme militaire, sans développement intellectuel ou matériel malgré ses chemins de fer, et la Suisse danubienne où circulerait à larges flots la vie moderne, nulle hésitation ne serait possible. C’est l’Autriche qui deviendrait un centre d’attraction pour les populations du Dnieper et des Balkans.

La Russie elle-même se transformerait. Si la France parvient à reconquérir la liberté, et, ce qui est plus difficile, à la garder, toute l’Europe est affranchie. Chassé de partout, le despotisme ne pourrait se maintenir dans l’empire des tsars, car les Russes ne souffriraient pas longtemps qu’on puisse dire, et avec raison, qu’à leurs frontières l’Asie commence. Ainsi par une révolution pacifique, par le progrès naturel des lumières, du bien-être et de la justice, la question d’Orient se trouverait résolue, et les dangers du panslavisme s’évanouiraient. La raison d’être de l’Autriche se trouvait jadis dans la nécessité d’opposer un puissant boulevard aux invasions des Turcs ; aujourd’hui elle remplace la Pologne, qui était le rempart de l’Europe contre les envahissemens de la Russie. Afin de ne pas être emportée à son tour, il faut qu’elle se donne une constitution qui, tout en respectant l’autonomie des provinces, mette aux mains du pouvoir central la force nécessaire pour maintenir et défendre l’union. Telle est l’œuvre qu’il s’agit maintenant d’accomplir. Pour y réussir, le gouvernement de Vienne et les Allemands n’ont qu’à se convaincre qu’ils ont le plus grand intérêt à favoriser l’expansion des Slaves. Les Polonais et les Tchèques de leur côté doivent renoncer à des exigences empruntées aux traditions surannées du moyen âge, qui rendraient impossible l’organisation d’un état moderne. Point n’est besoin de menacer ou d’attaquer la Russie. Le moyen infaillible de la désarmer, et de lui rendre en même temps service, c’est uniquement de favoriser le développement de la liberté et de la civilisation.

Reste une dernière difficulté. Quels seraient les rapports de la Cisleithanie fédérale avec la Hongrie ? Le mécanisme actuel des délégations serait maintenu aussi longtemps qu’il pourrait fonctionner. Dès qu’il en viendrait à mécontenter les deux parties, on