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autrement, car, dans la vie de tous les jours, la protection compte presque autant d’ennemis que de consommateurs. Bien peu de personnes, même parmi les protectionistes les plus décidés en théorie, se font scrupule d’introduire en fraude les produits étrangers qu’ils peuvent soustraire à rester vigilant de la douane. Chez les populations des frontières, c’est une habitude très répandue, habitude qui exerce une influence fâcheuse sur la moralité publique. La contrebande est même une industrie presque régulière, qui ne paraît pas beaucoup nuire à la considération de ceux qui s’y livrent au vu et au su de tout le monde. Aussi la protection doit-elle avoir à son service une véritable armée d’agens sans cesse en éveil, qui luttent avec la fraude de ruse et de patience, qui dressent nuit et jour leurs embuscades, et qui même, au besoin, ne marchandent pas leur vie dans d’obscures rencontres avec les contrebandiers.

J’ai traité plus haut le régime protecteur comme un système complet dans son ensemble, étudié dans ses détails, de manière à départir une égale garantie à toutes les branches du travail national par la juste pondération des tarifs. Pour qu’il en fût ainsi, il faudrait l’établir tout d’une pièce, calculer exactement le chiffre des droits, en partant des matières premières et remontant successivement jusqu’aux produits les plus compliqués, afin d’équilibrer les charges et les profits. On est forcé d’avouer que cet idéal n’a jamais été réalisé. On a défendu un jour un produit, un jour un autre, tantôt par la prohibition franche et nette, tantôt par des droits si élevés qu’ils en devenaient véritablement prohibitifs, tantôt par des droits insuffisans, et cela sans vues d’ensemble, sans plan arrêté d’avance, sans être certain du résultat. Ce n’est pas l’étude sérieuse des conditions économiques du marché qui dominait la question, c’étaient les doléances plus ou moins fondées, plus ou moins bruyantes des diverses industries, l’influence de leurs chefs, le bon vouloir des ministres, la pression des chambres, les fluctuations de la politique. On ne tenait guère compte de la justice distributive et de l’égalité : témoin l’industrie linière, à qui on marchandait pendant des années un droit de 20 pour 100 pour soutenir ses premiers pas, alors que la draperie, industrie puissante, enracinée depuis des siècles, était garantie par la prohibition absolue.

Il n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire de protéger efficacement la fabrication nationale. La protection est une arme délicate dont le maniement demande, avec beaucoup de tact, une connaissance approfondie des fois de la production et du mécanisme de l’industrie. Sous la restauration, alors que le charbon de bois était à peu près le seul combustible employé dans le traitement des minerais, on augmenta considérablement les droits à l’entrée des fers et fontes pour favoriser les usines métallurgiques. Le prix des bois s’é-