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lui apporter directement les matières premières de tous les points de l’univers, un réseau complet de chemins de fer pour les distribuer dans les centres industriels. Elle avait attendu, avant de se convertir au free-trade, de tenir le premier rang par le bas prix de ses produits, et, sur les seuls points où elle pouvait rencontrer une concurrence sérieuse, elle reculait devant l’application de son système. Enfin l’expérience commençait à peine, l’industrie anglaise la tentait avec appréhension, et nul ne pouvait prédire à l’avance quel en serait le résultat. Dans ces circonstances, on ne pouvait raisonnablement engager la France à accepter le libre échange les yeux fermés, par esprit d’imitation. La situation de l’industrie française se présentait en effet sous un jour bien différent. Elle n’avait ni capitaux à bon marché, ni marine puissante à son service, ni réseau de chemins de fer, pas même une grande lignes seulement quelques tronçons épars et sans liaison entre eux. Sous le rapport du prix des produits fabriqués, son infériorité était manifeste. À la vérité, en y regardant de près, il était facile de reconnaître que cette infériorité ne provenait pas de causes naturelles, radicales et par conséquent impossibles à faire disparaître. Elle tenait précisément à l’influence du régime protecteur, qui obligeait le fabricant à payer trop cher ses matières premières et ses instrumens de travail. Dès lors le remède était tout trouvé, aussi simple que souverain. Ce remède, chacun le comprend, consistait à déchirer le compromis protectioniste. Il fallait lever les prohibitions, diminuer les droits d’entrée, — avec tous les ménagemens possibles, mais avec esprit de suite et fermeté, — en commençant par les matières premières et remontant aux produits fabriqués, de manière à réduire peu à peu les droits protecteurs à n’être plus que des taxes fiscales, c’est-à-dire une des nombreuses formes de l’impôt.

C’était donc aux industriels eux-mêmes qu’on devait s’adresser pour résoudre la question en leur prouvant que l’intérêt personnel leur commandait l’abandon du régime protecteur. Il fallait prendre chaque industrie, établir son compte exact, lui faire toucher du doigt ce dont, elles n’avaient généralement aucune idée, c’est-à-dire ce que la protection leur coûtait. Il est à croire que les convictions n’auraient pas été longtemps rebelles. On en jugera par l’exemple suivant. Ce compte, je le fis faire pour la draperie. Je m’adressai dans deux villes différentes à des fabricans très intelligens, mais prohibitionistes et convaincus qu’il leur était impossible de soutenir la concurrence anglaise. Je les priai de calculer le plus exactement possible la proportion pour laquelle entraient dans leurs prix de revient les droite sur les laines, les métaux de leurs métiers, les drogues de teinture. Les réponses furent parfaitement concordantes.