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tous plus chers que leurs similaires étrangers, le conseil se renouvelait souvent. On arrivait à sommer la France d’abandonner la production de la houille, du fer, des draps, du calicot, de renoncer aux grandes industries, à tout ce qui fait la force et la véritable richesse des nations ; mais on lui laissait le vin de Champagne, les bronzes d’art, les papiers peints, les satins brochés, les chaussures, la parfumerie, la ganterie, tout ce qui constitue l’empire éphémère et fragile de la mode. Et c’était à la France, qui a enfanté tant de merveilles industrielles, qu’on tenait un tel langage ! C’était à la patrie du sucre de betterave et du cachemire qu’on contestait absolument la possibilité de réduire de quelques centimes le prix d’un mètre de drap ou de percale !

Rien n’était plus faux que cette théorie des vocations industrielles, et l’événement s’est chargé de lui donner le démenti le plus formel. Les prohibitions sont levées, la protection même a presque complètement disparu ; la France a continué à produire des machines, des draps, des calicots, de la porcelaine, aussi bien que des satins brochés, des papiers peints et des articles de Paris. S’il est un fait qui ressorte des expositions universelles avec une évidence incontestable, c’est l’uniformisation rapide des procédés et des produits industriels chez les diverses nations de l’Europe et de l’Amérique du Nord. On comprend facilement l’effet que produisait de 1840 à 1848 cet étrange système sur des gens déjà exaspérés par les attaques violentes dont ils étaient l’objet. Toutes les industries auxquelles on prédisait si lestement une mort inévitable s’émurent profondément, les ouvriers aussi bien que les patrons. Le public, qui suivait la discussion avec plus de curiosité que d’intérêt réel, se mit de leur côté, et le mouvement libre échangiste fit plus de bruit que de progrès sérieux. Les événemens de 1848 vinrent bientôt donner un autre cours aux idées, et Bastiat, qui avait consacré tant de verve et d’esprit au service de cette cause, mourut avec la conviction qu’elle avait échoué complètement et pour longtemps. Cela n’était que trop vrai, et lorsque le libre échange reparut dix ans plus tard sous un autre nom, il fallut l’imposer au pays par un coup d’autorité. La liberté commerciale en portera longtemps la peine.

IV.

Ces expressions, libre échange, liberté commerciale, nous les avons employées jusqu’à présent sans explications et sans commentaires ; il faut cependant en déterminer la véritable valeur, examiner si les mots sont d’accord avec la chose qu’ils représentent, ou si au contraire ils ne couvriraient pas quelque malentendu, quelque équi-