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contraire on suppose ces images déposées dans l’esprit par une cause externe et liées à telle modification cérébrale, on comprend que, cette modification venant à se reproduire par une cause quelconque, le phénomène perceptif se reproduise également, et que cette perception interne, ne pouvant être confrontée avec l’extérieur par suite de l’occlusion des sens et de l’engourdissement de l’attention endormie, porte avec elle sa propre affirmation et par conséquent l’illusion de l’extériorité. Ainsi l’on s’explique la possibilité du rêve en prenant pour point de départ la réalité de la perception ; mais l’on ne s’expliquerait pas l’illusion primitive de la perception, et cette illusion même, en la supposant telle, n’aurait aucune analogie avec celle du rêve.

La même observation se présente pour le genre d’aliénation mentale qu’on appelle hallucination. L’hallucination, comme chacun sait, est le rêve de l’homme éveillé. C’est non plus dans le sommeil, mais dans la veille même que nous voyons, que nous croyons voir des objets qui n’existent pas, entendre des voix qui partent de notre propre cerveau : c’est une irritation cérébrale qui d’abord est reconnue par le malade lui-même comme une illusion dont il n’est pas dupe, et qui bientôt, s’emparant de son imagination, annulant sa volonté et sa puissance d’attention, ne lui permet plus de se détacher de cet objet chimérique, et lui attribue une réalité externe. On demande comment distinguer la vraie perception de la fausse, et pourquoi celle-là aussi bien que celle-ci ne serait pas une hallucination. Selon nous, il en est de l’hallucination comme du rêve. Elle n’est jamais un phénomène spontané, elle n’est qu’une répercussion d’une ou de plusieurs perceptions primitives élaborées par l’organe central, suivant des lois que nous ignorons. Jamais un aveugle-né n’a eu d’hallucination de la vue ; jamais un sourd-muet de naissance n’a eu d’hallucination de l’ouïe. Si l’hallucination était un phénomène primordial non dépendant d’une perception antérieure, il pourrait arriver qu’un aveugle-né vît des couleurs, et qu’à l’état lucide il s’en souvînt et pût ainsi parler pertinemment de ce qu’il n’aurait jamais perçu. De même un sourd-muet pourrait, en rêve ou dans un accès d’hallucination, entendre des sons et apprendre à les reproduire ; mais jamais rien de semblable ne s’est présenté[1].

Il n’est pas toujours facile de retrouver la trace des conceptions délirantes dans un état lucide antérieur, et on est quelquefois tenté

  1. On conçoit que, même chez l’aveugle-né ou le sourd-muet de naissance, il puisse se présenter des phénomènes de lumière ou de sons purement subjectifs, par exemple des phosphèmes lumineux ou des bourdonnemens nerveux ; mais ces phénomènes n’ont aucun rapport avec les phénomènes de la perception extérieure : eux-mêmes d’ailleurs témoignent d’une certaine extériorité, à savoir l’extériorité de l’organe ;