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guère permis aujourd’hui de parler des erreurs des sens en philosophie. On a surabondamment démontré que nos sens ne nous trompent jamais, que c’est nous qui nous trompons en interprétant mal les données qu’ils fournissent. On remarquera en outre que la cause des prétendues erreurs des sens est toujours une circonstance objective dont nous ne tenons pas compte dans notre jugement : pour qu’un objet nous apparaisse autre qu’il a paru jusqu’alors, il faut toujours qu’il y ait quelque changement, soit dans l’objet lui-même, soit dans le milieu, soit dans l’organe. Autrement un même objet perçu dans les mêmes conditions d’organe et de milieu nous donnera toujours les mêmes sensations. Les erreurs des sens par conséquent, bien loin de déposer contre l’objectivité des choses externes, ne peuvent au contraire s’expliquer que par là. Le soleil, dites-vous, paraît sur l’horizon, et cependant, il n’y est pas. Non, mais il est au-dessous. Voici un lac dans un désert aride où il n’y a jamais eu d’eau ; soit, cette eau n’est pas là, mais elle est ailleurs. Cette lumière paraît brisée, cependant l’objet est droit ; comment en serait-il autrement, si les lois de la lumière veulent qu’elle se brise en passant d’un milieu dans un autre ? Ces objets, à cette distance, paraissent plus petits qu’ils ne sont : c’est ce qui est inévitable, la grandeur visible de l’objet se mesurant par la grandeur de l’angle que font les rayons lumineux qui partent de lui. Sans doute, le véritable univers, celui que la science nous explique et nous démontre, n’est pas celui que nos sens nous font connaître. Le ciel tel que nous le voyons n’est pas le même que le ciel astronomique. Dans l’un, les astres sont des corps immenses, dans. l’autre des points lumineux ; dans l’un, tout le globe céleste roule autour de nous ; dans l’autre, c’est notre globe qui gravite autour de l’un d’eux. Il y a des mouvemens apparens et des mouvemens réels, et ces mouvemens apparens sont dans des rapports précis et déterminés avec les mouvemens réels ; on conclut des premiers aux seconds, et les seconds expliquent les premiers. Ce ciel astronomique lui-même, dira-t-on, n’est-il pas un ciel apparent, qui nous prouve qu’il n’est pas à un autre ciel ce que le ciel apparent lui est à lui-même, non pas une image, mais un symbole, et en quelque sorte une irradiation. Allons, si vous voulez, de ciel en ciel ; en définitive, il faudra toujours arriver à un ciel quelconque par lequel celui qui brille à nos yeux puisse s’expliquer. Sans réalité, point d’apparence, et cette apparence elle-même est la réalité en tant qu’elle se rattache à celle-ci par des liens précis que la science découvre et qu’elle peut calculer.

Par analogie, nous dirons : Le monde phénoménal et sensible qui est dans ma conscience n’est pas sans doute le monde objectif, le