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du vrai dans les deux points de vue, surtout si l’on se rappelle que les Israélites ne furent pas les seuls Hébreux qui eurent à souffrir de la tyrannie égyptienne. Ce qui nous intéresse particulièrement, c’est que Manéthon tout aussi bien que la Bible, désigne Moïse comme le chef politique et religieux d’Israël. Les deux sources s’accordent aussi pour attribuer à Moïse une éducation égyptienne. C’est là-dessus qu’on s’est appuyé pour imaginer toute une série d’emprunts à la sagesse de la vieille Égypte, emprunts que rien ne prouve, que tout plutôt dément, car il serait contraire à toute vraisemblance de supposer que Moïse aurait enlevé le peuple d’Israël en l’invitant à le suivre au nom d’une divinité étrangère. Ce fut bien certainement le dieu national, le « dieu des pères, » d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, que Moïse invoqua comme le patron de son œuvre de délivrance. Peut-être pendant la période égyptienne le souvenir du dieu des pères avait-il beaucoup pâli, excepté dans la tribu ou le groupe de familles dont Moïse sortait lui-même. C’est ce qui expliquerait pourquoi Moïse, tout en maintenant l’identité foncière du dieu des patriarches et de son dieu, a pu le proclamer sous un nom nouveau, indiquant une conception nouvelle et supérieure de la Divinité. Il est, au livre de l’Exode, un passage des plus significatifs, supposant chez celui qui l’a écrit une notion bien plus exacte de l’antiquité religieuse d’Israël que chez les autres narrateurs. « Dieu par la à Moïse et lui dit : « Je suis Jehovah ; je suis apparu à Abraham, Isaac et Jacob comme le Fort très puissant (El-Schaddaï), mais ils ne m’ont point connu sous mon nom de Jehovah. » Cela est péremptoire et confirme tout ce que nous avons dit du caractère primitif de la religion d’Israël. A partir de Moïse, ce nom nouveau se trouvant inséparablement associé à la grande délivrance, Jehovah est donc le dieu spécial, le dieu national de la confédération Israélite. La critique a quelquefois voulu reléguer Moïse lui-même dans les ombres mythiques et reporter l’apparition du jehovisme à une date plus récente. Ces tentatives ont échoué. La personnalité réelle de Moïse est trop fortement attestée par la tradition de son peuple et par les anciens documens de Manéthon pour être volatilisée à ce point. D’ailleurs il est impossible de signaler dans l’histoire ultérieure un seul moment où l’apparition première du jehovisme serait vraisemblable. Dès le temps des juges, le terrible cantique de Débora en fait foi, c’est au nom de Jehovah, dieu commun des tribus, que se font les guerres saintes. Au fond, il est conforme à toutes les analogies, aussi bien qu’au caractère des peuples sémites, que le grand élan qui emporta les Beni-Israël loin d’Égypte à la conquête du pays de Canaan se soit associé à un mouvement religieux intense.