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objet mesquin, et que l’importance de la fin soit en rapport avec la perversité des moyens. Or ce que la société poursuit à travers toute la pièce, c’est tout simplement la dot de Mlle de Birague. Je veux bien que cette dot soit de neuf millions. Il n’en est pas moins vrai que, si les jésuites sont véritablement des coureurs de dot, ils n’en conservent pas en tout cas le monopole. Encore n’est-ce pas pour eux-mêmes directement qu’ils convoitent cette dot, mais pour un jeune vicomte de Valtravers dont la famille leur est toute dévouée. Tous les efforts de ces messieurs, comme M. Augier les appelle, vont donc tendre à faire épouser Catherine de Birague par Adhémar de Valtravers, qui, de plus, est son cousin. Quels si grands obstacles s’opposent donc à cette union ? Aucun, sinon la volonté contraire de Mlle de Birague, qui, orpheline et libre de sa personne comme de sa fortune, a pris la résolution de ne pas se marier, car elle n’imagine pas qu’elle puisse être aimée autrement que pour sa dot. C’est pour triompher des résolutions un peu prématurées peut-être de cette jeune personne, que la société de Jésus va déployer toute sa diplomatie et toute sa ruse. A cet effet, elle envoie à Paris un de ses affiliés, M. de Sainte-Agathe, qui a été le précepteur du jeune de Valtravers, et qui l’accompagne encore en cette qualité. Voilà l’homme terrible qui personnifie durant toute la pièce cette redoutable influence de la société de Jésus, instrument passif, serviteur sans scrupules, observateur redoutable, qui sait tout, qui voit tout, qui devine tout, — tout, excepté les frasques et les dettes que son élève fait dès le lendemain de son arrivée à Paris ; tout, excepté l’entente qui s’établit entre Valtravers et Catherine, s’avouant l’un à l’autre qu’ils n’ont aucune envie de s’épouser et faisant alliance ensemble, l’un pour rester le plus longtemps possible à Paris, l’autre pour écarter les soupirans à l’aide d’apparentes fiançailles : de sorte que ce sombre génie, dont le cadavre aura fait des orgies de pouvoir et savouré toutes les acres voluptés du despotisme, se laisse berner par ces deux jeunes gens, tout comme un pédant de collège par un étudiant et une grisette. Décidément il y a du Bridoison dans ce Machiavel dévot. Si la société de Jésus n’a pas à son service d’agens plus déliés, elle ne vaut pas la peine que M. Augier l’accable de ses coups.

Ce qui caractérise au reste les renards de M. Augier, c’est qu’ils tombent en aveugles dans les pièges les plus grossiers. Il a donné comme rival à M. de Sainte-Agathe, pour établir probablement un parallèle obligeant, un escroc homme du monde, qui s’appelle le baron d’Estrigaud, et que M. Augier a ressuscité de la Contagion. C’était un bien ennuyeux personnage en son temps que ce baron d’Estrigaud, et ses vices étaient ennuyeux comme la vertu. Je veux bien croire que ce type des d’Estrigauds existe réellement dans un certain monde, et que M. Augier ait eu occasion de l’observer : encore faut-il que la finesse d’un pareil homme égale sa dépravation, et qu’il ne soit pas facile de le faire tomber dans