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Champlion, qu’il ne connaît pas, il l’ait supplié d’intercéder pour lui et d’obtenir son pardon. Cédant à son indignation, Mlle de Birague se retire un instant. Durant cet intervalle favorable, Champlion cherche querelle à d’Estrigaud, qui s’est permis de l’appeler mon cher, et des menaces de mort s’échangent entre eux. Naturellement Catherine apprend la chose ainsi que son tuteur M. de Prévenquière, qui entre en même temps par une autre porte. Ce brave homme se désole et s’imagine, on ne sait trop pourquoi, que l’honneur de sa pupille sera compromis par une querelle entre Champlion et d’Estrigaud, s’il ne sert de témoin à Champlion avec Valtravers, qui continue à passer pour le fiancé de Catherine ; mais à ce mot de fiancé Champlion déclare que le choix des armes, sur lequel on vient de disserter pertinemment devant Catherine, lui est totalement indifférent, et qu’il ne tient pas à la vie. Son erreur n’est pas de longue durée. A peine M. de Prévenquière a-t-il fermé la porte que Catherine s’écrie : « M. de Valtravers n’est pas mon fiancé, que Dieu vous garde ! » Champlion n’a pas besoin d’être aussi perspicace qu’un jésuite pour comprendre qu’il est aimé.

Le péril, comme on voit, devient imminent, et tout semble conjuré contre ce pauvre M. de Sainte-Agathe. Que de choses désagréables il va apprendre en un seul acte ! Il apprend de la bouche de la gouvernante de Catherine le duel de Champlion et de d’Estrigaud. Il apprend de la bouche de M. de Prévenquière les folies et les dettes de Valtravers. Il apprend de la bouche même de celui-ci qu’il ne veut pas plus épouser Catherine que Catherine ne veut l’épouser. Tout le monde est au fait, excepté lui. Ce profond politique ne sait rien, n’a rien prévu, rien empêché. Il ne lui reste plus qu’une espérance, c’est de faire alliance avec d’Estrigaud. La maison-mère d’Uzès lui a envoyé des renseignemens sur ce dernier, et il a acquis la preuve que ses dettes ont été payées et sa fortune refaite, grâce à l’argent d’une vieille marquise qui a largement payé son… dévoûment. En menaçant d’Estrigaud de divulguer l’origine de sa fortune, il compte l’amener d’abord à sa merci. Il achètera ensuite son concours, et tous deux joindront leurs ruses pour amener la conclusion de ce mariage que la société de Jésus continue de souhaiter si ardemment. D’Estrigaud arrive au rendez-vous, et, sur la production des lettres de la marquise, il se rend à discrétion. On s’imagine alors que l’entente de ces deux hommes va nous faire assister à quelque grand mystère d’iniquité, et on tressaille à l’avance d’impatience et d’émotion. Quelle trame sans nom va être ourdie par ce jésuite et cet escroc ! Ici, malgré l’attention la plus soutenue, l’intrigue devient si difficile à suivre, et les invraisemblances s’accumulent à tel point que je serais reconnaissant envers mes lecteurs s’ils veulent bien m’en croire sur parole. Il ne s’agit plus seulement de déterminer Catherine à épouser Valtravers : il s’agit aussi de forcer Valtravers à épouser Catherine ; invitus invitam, dit M. de Sainte-Agathe. Il s’agit surtout de détruire l’amour de Catherine pour